Quel est le rapport entre trois étudiantes du Kansas dans les années 90 et une résistante polonaise ayant organisé le sauvetage de milliers d’enfants juifs prisonniers du Ghetto de Varsovie ? Réponse dans la dernière création de la Compagnie Paname Pilotis, Juste Irena, qui use de différentes techniques de marionnette pour conter cette histoire vraie aux airs de fiction tant elle défie les lois de l’ordinaire.
Avec la Compagnie Paname Pilotis qu’il a fondé en 2004, Cédric Revollon, par ailleurs comédien (remarqué dans l’excellent Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? mis en scène par Johanna Boyé), tend à explorer les motifs de l’abandon et son versant, l’accomplissement de soi, en traquant, à chaque entreprise artistique, la forme qui entrera le plus en adéquation avec son sujet. Et depuis sa précédente création, Les Yeux de Taqqi, la marionnette s’impose comme offrant des possibles esthétiques riches tout en permettant une mise à distance propice à embrasser des récits douloureux et des histoires vraies.
Car Juste Irena puise dans les entrailles de la Grande Histoire son intrigue, aussi fascinante qu’édifiante : dans les années 90, trois lycéennes du Kansas sommées de préparer un exposé sur une personnalité oubliée de l’Histoire, découvrent, au hasard de leur recherche, l’existence d’une certaine Irena Sendlerowa, assistante sociale catholique polonaise qui aurait sauvé, au péril de la sienne, la vie de 2500 enfants juifs du Ghetto de Varsovie, promis à la déportation et à une mort certaine. Elles se passionnent alors pour cette héroïne de l’ombre, cette femme d’un courage exemplaire et enquêtent sur ce passé aussi lointain qu’obscur.
Signé Léonore Chaix, le très beau texte de la pièce superpose deux temporalités : l’ici et maintenant des étudiantes américaines et le passé de la guerre en Europe. Et la mise en scène de Cédric Revollon s’engouffre avec fluidité dans ce va et vient qui nous entraîne d’un pays à un autre, d’une époque à l’autre, d’un contexte à un autre. Grâce à l’usage des marionnettes, on se repère aisément dans l’alternance chronologique car les jeunes filles d’aujourd’hui sont représentées par des marionnettes grandeur nature agglomérées au corps des comédiennes tandis que la jeune Irena et ses contemporaines sont interprétées directement par les mêmes actrices. Ainsi, le glissement du présent au passé ne se fait pas dans la rupture mais bien dans l’infusion et la continuité. Une façon d’embrasser le devoir de mémoire par le biais de celles qui l’exhument, de ne pas compartimenter une situation révolue avec la réalité dans laquelle évoluent les trois adolescentes. Une façon aussi de témoigner que le présent n’est que de l’Histoire qui suit son cours et que nous sommes toutes et tous embarqués dans un même flux sur lequel nos actions ont une influence.
Qui eut cru qu’une femme ordinaire pourrait accomplir ce qu’Irena Sendler a fait ? Le spectacle nous fait prendre conscience tout autant de l’énormité de la prise de risque que de l’intelligence et l’imagination mises en œuvre pour faire sortir en secret enfants et bébés sous le nez des gardes. Le récit de ces échappées est sidérant tout comme l’est l’organisation d’Irena et ses complices. En effet, la jeune infirmière n’avait rien d’une tête brûlée. Chaque action de résistance était soigneusement préparée pour mettre toutes les chances de leur côté. Mais le plus bouleversant, ce sont ces mères acceptant de confier leurs enfants pour les sauver, le déchirement de la séparation, le sacrifice et le pari sur l’avenir. En cela, le spectacle n’est jamais tire larme quand bien même on pleure. Il tient une ligne droite et digne qui ne force jamais le trait, ni du spectaculaire, ni du piège du pathos.
Juste Irena est porté par un souci esthétique évident et prend des airs de conte en demi-teinte. Depuis la réalisation des marionnettes humaines jusqu’aux scènes de reconstitution historique en passant par le travail d’ombres chinoises et la maquette du ghetto, il se distille une atmosphère en clair-obscur, sombre et inquiétante, renforcée par une création musicale mélancolique et ténébreuse de Rodolphe Dubreuil. L’ennemi prend la figure de loups en arrière-plan dans des apparitions fantomatiques et menaçantes. Les années sombres contrastent avec la vitalité des étudiantes mobilisées par leur enquête, pleines de jeunesse et de bagout et l’alternance créé une dynamique vertueuse à la narration. Le plus fou dans tout ça, au-delà de l’exploit réalisé par Irena, c’est qu’elle soit tombée dans l’oubli et que si son histoire nous est contée aujourd’hui, c’est bel et bien grâce à ses étudiantes qui se sont démenées pour la retrouver et lui redonner ses lettres de noblesse. On est pris à la gorge par cette double intrigue qui avance en parallèle et médusé devant l’engagement total des comédiennes, Camille Blouet, Anaël Guez, Nadja Maire et Sarah Vermande, à la fois interprètes et manipulatrices de ce ballet sans temps mort où elles sont mobilisées à chaque instant. Une pépite, vraiment.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Juste Irena
Texte Léonore Chaix
Idée originale, conception et mise en scène Cédric Revollon
Interprétation & manipulation Camille Blouet, Anaël Guez, Nadja Maire et Sarah Vermande
Lumières Jean-Christophe Planchenault en collaboration avec Kevin Hermen
Son Rodolphe Dubreuil
Marionnettes Julie Coffinieres et Anaël Guez
Scénographie Sandrine Lamblin
Illustrations Fanny Michaëlis
Graphisme Léa Dubreucq
Photographies Alejandro Guerrero
Vidéo Cyrille Louge
Habillage graphique Bertyl Lernoud
Durée : 1h20
A partir de 10 ansVu dans le Off à Avignon en juillet 2025
LAVAL
Festival Chaînon Manquant – Théâtre de Laval, Centre National de la Marionnette
jeudi 18 septembre 2025 à 21h30MAISONS-ALFORT
Théâtre et Cinéma Claude Debussy
vendredi 7 novembre 2025 à 10h et 14h30 ; samedi 8 novembre 2025 à 18hVERNON
Théâtre Yolande Moreau
vendredi 14 novembre 2025 à 14h15 et 20h30LA FERTÉ-BERNARD
Centre Culturel Athéna
jeudi 20 novembre 2025 à 14hMARLY-LE-ROI
Centre Culturel Jean Vilar
lundi 24 novembre 2025 à 14h ; mardi 25 novembre 2025 à 14h et 20hMONTREUIL
Théâtre Municipal Berthelot, Jean Guerrin
mardi 13 janvier 2026 à 14h30 et 20hTHUIR
Dimanche 25 janvier à 16h et scolaire lundi 26 janvier 2026 à 9h45GUYANCOURT
La Ferme de Bel Ebat
jeudi 5 février 2026 à 9h45 et 14h15 ; vendredi 6 février 2026 à 20h30MEUDON
Espace culturel Robert-Doisneau
vendredi 20 février 2026 à 14h30VILLEFRANCHE SUR SAONE
Théâtre de Villefranche
mardi 24 mars 2026 à 14h30 ; mercredi 25 mars 2026 à 10h et 18h30TRAPPES
La Merise
vendredi 27 mars 2026 à 14h15 et 20h30BÉZIERS
Théâtre des Franciscains
lundi 13 avril 2026 à 14h30 ; mardi 14 avril 2026 à 10h et 19h30AVON
Maison dans la Vallée – mardi 2 juin 2026 à 14h et 20h30
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