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Pour « Recommencer ce monde », Jérôme Bel piste Baptiste Morizot

A voir, Annecy, Bobigny, Caen, Les critiques, Pantin, Théâtre
Jolente De Keersmaeker dans Recommencer ce monde (les créatures fabuleuses) de Jérôme Bel et Estelle Zhong Mengual
Jolente De Keersmaeker dans Recommencer ce monde (les créatures fabuleuses) de Jérôme Bel et Estelle Zhong Mengual

Photo Denis Darzacq

Avec sa dernière création, l’artiste fait passer la philosophie de l’écrivain-pisteur à la scène. Un exercice délicat, et tout en simplicité, qui rend avec fidélité les différents plans d’une pensée ô combien précieuse pour réorganiser notre rapport au vivant.

Cela fait cinq ans maintenant, à l’occasion de sa création d’Isadora Duncan, que Jérôme Bel fait de la crise écologique le centre de ses préoccupations, quitte à s’attirer parfois des commentaires critiques venus de l’intérieur même de la profession. Recommencer ce monde (les créatures fabuleuses) poursuit ce chemin sur le fond comme sur la forme, puisque l’artiste s’y attelle à relayer la parole du philosophe Baptiste Morizot, penseur essentiel de nouvelles manières d’envisager notre relation au vivant, notamment par l’observation et la diplomatie. Ce dernier sort d’ailleurs actuellement un ouvrage, Rendre l’eau à la terre. Alliance avec le peuple castor face au désert qui vient, conçu avec la plasticienne Suzanne Husky et publié chez Actes Sud. Consacré au rongeur et à la manière dont il façonne les rivières, le livre déploie une nouvelle fois cette pensée qui consiste à observer comment et combien les espèces non humaines prennent soin du vivant quand nous le détruisons, et à entrer en négociations avec elles pour (re)construire ensemble des espaces vivables pour tous.

Baptiste Morizot est pour nous, sans nul doute, un acteur importantissime de la transformation des manières de considérer notre rapport au monde. Mi-aventurier qui trace les meutes de loups, mi-philosophe qui en tire des leçons passionnantes, il est aujourd’hui un personnage médiatisé qui, avec rigueur, clarté et simplicité, sensibilise, propose des solutions et délivre une parole passionnante et synthétique. Ce sont toutes ces qualités que Jérôme Bel, avec la collaboration d’Estelle Zhong Mengual, a voulu faire passer au plateau. Pour cela, iels ont choisi de confier la parole de Morizot à l’actrice flamande Jolente De Keersmaeker, sœur de la célébrissime chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker et surtout cofondatrice de la non moins fameuse compagnie tg STAN. Au plateau, elle joue à la philosophe en compagnie d’une jeune fille – Rose, le soir de notre venue – qui l’accompagne, l’écoute et incarne la possibilité de recommencer, déployée par le spectacle dans un très beau tableau final.

Pas de programme papier, il sera donc dit oralement. Par terre, une grande bâche blanche qui permet, en reflétant parfaitement la lumière, d’économiser l’électricité ; pour scénographie, quelques bouts de bois de récup qui aideront à figurer un lit ou un canoë, par exemple. Avec humour, mais aussi avec sincérité, le spectacle déroule tout d’abord son credo écolo ; puis, Jolente De Keersmaeker poursuit sa performance, invite la jeune Rose à la rejoindre, et l’embarque à sa suite sur les traces de Morizot. Théâtralité réduite, jeu à la tg STAN, tellement au présent, il faut pourtant s’accrocher par moments pour ne pas décrocher. Oscillant entre la simplicité d’une adresse aux enfants et la complexité d’une vaste pensée, on piste ces créatures fabuleuses que sont les loups, les grizzlys, les crocodiles, les raies… Il faut attendre un peu pour que se déploie tout l’éclat des propos de Morizot, souvent narratifs, simples et touchants, et en même temps à haute teneur conceptuelle : et si l’on mourrait de vivre ? Et si la possibilité que le vivant nous pardonne nous rendait capables de recommencer autrement ? La fin du spectacle est saisissante de beauté. On est content d’avoir fait confiance, d’avoir pris le temps d’observer et de quitter nos espaces pressés. C’est bien par là qu’on peut commencer à recommencer.

Eric Demey – www.sceneweb.fr

Recommencer ce monde (les créatures fabuleuses)
Concept Jérôme Bel
d’après l’oeuvre originale de Baptiste Morizot, avec un extrait de L’œil du crocodile de Val Plumwood (éditions Wildproject)
Adaptation et mise en scène Jérôme Bel, Estelle Zhong Mengual
Interprétation et cocréation Jolente De Keersmaeker, avec, en alternance, Yasmine Benelouasi, Rose Bergeret, Maïa Lemaire, Nélia Mankour Abdelmalek, Manon Meillet
Lumières Iwan Van Vlierberghe
Conseil artistique et direction exécutive R.B. Jérôme Bel Rebecca Lasselin

Production R.B. Jérôme Bel
Coproduction Fonds de dotation du Quartz – Scène nationale de Brest ; CND Centre national de la danse ; Bonlieu Scène nationale Annecy ; Comédie de Caen – CDN de Normandie ; MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis ; Malraux scène nationale Chambéry Savoie ; R.B. ; tg STAN ; Festival d’Automne à Paris

R.B. Jérôme Bel reçoit le soutien de la Drac Île-de-France – ministère de la Culture. Jérôme Bel est artiste associé au Quartz – Scène nationale de Brest, au CND Centre national de la danse et à la Comédie de Caen – CDN de Normandie.

Durée : 1h30

Théâtre du Fil de l’eau, Pantin, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 15 au 19 octobre 2024

Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
du 29 au 31 janvier 2025

MC93, Bobigny, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 20 au 27 septembre

Comédie de Caen
du 14 au 16 octobre

19 octobre 2024/par Eric Demey
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