À La Manufacture, l’incontournable Sélection Suisse présente L’Événement de Joëlle Fontannaz. Métaphore d’un monde qui brûle et s’éteint, la pièce déploie, entre calme et urgence, une manière bien singulière de délivrer son récit incendiaire.
Née sous l’impulsion de Pro Helvetia, la Sélection Suisse en Avignon répond depuis 2016 à l’objectif de diffuser et d’accompagner à l’occasion du Festival Off des artistes helvétiques et leurs créations (théâtre, danse, performance). Conception, écriture, mise en scène, jeu, Joëlle Fontannaz est sur tous les tableaux. Basée à Lausanne, elle travaille aussi bien comme interprète que comme autrice et metteuse en scène à la recherche de nouveaux modes de narration. En résidence artistique sur l’île grecque de Corfu, l’artiste a mené diverses interviews, jusqu’à ce que s’impose son sujet : l’embrasement d’un four à pain en plein séjour de développement personnel. Le fulgurant incendie nocturne peut prendre des significations multiples, mais il suscite surtout l’intérêt dans la manière si particulière dont l’épisode est relaté. Car, si L’Événement part d’une matière documentaire, c’est tenu à distance de toute identification possible, qu’elle trouve finalement une forme plus stylisée et déréalisée.
Inspirés du chœur omniprésent dans la tragédie antique, Joëlle Fontannaz, Mathias Glayre et Nina Langensand le revisitent en mode hyper réduit et apparaissent tel un « monstre à trois têtes » qui prête ses corps et ses voix inextricablement mêlées au récit de l’énigmatique catastrophe. Usant et abusant du procédé littéraire de l’épanorthose, figure de style qui consiste à interrompre le propos pour aussitôt revenir sur ce qui vient d’être affirmé soit pour le nuancer, soit pour le repréciser, ou même pour le corriger, L’Événement déroule son propos volontairement décousu, sans linéarité, par strates successives. Des bribes de répliques s’empilent, se superposent, les unes sur les autres.
Il résulte de cette énonciation polyphonique, comme de sa profération frontale et heurtée, un brin de systématisme rendant la représentation étale, mais aussi une profonde et perturbante étrangeté. Celle-ci est soulignée par la scénographie minimale, la mise en scène, et par un traitement des corps aussi singulier que celui des voix. Sous d’imprévisibles variations de lumières, debout, stoïques, juchés, prostrés, comme pris au piège par un monticule noir calciné – une sorte d’espace rocheux et insulaire sous lequel souffle la flamme rougeoyante encore vive –, trois interprètes, deux femmes et un homme, drôles de néo-hippies insolites et sidérés, disent non sans dérision l’état d’un monde angoissant. Plongée dans une semi-obscurité cauchemardesque et une froideur délibérée, l’action n’est pas donnée à voir, mais est centrée sur le discours. Les mots abondent jusqu’à la redondance, abreuvent de détails parfois absurdes, qui néanmoins témoignent d’une appréhension sensible, lucide, de la réalité. La parole s’emballe, prolifère. Elle est elle-même le feu qui crépite, qui jaillit, et s’enflamme jusqu’à son extinction.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
L’Événement
Conception et mise en scène Joëlle Fontannaz
Écriture et jeu Joëlle Fontannaz, Mathias Glayre, Nina Langensand
Collaboration à l’écriture Adina Secretan
Dramaturgie Sébastien Grosset, Adina Secretan
Création lumière Vicky Althaus
Costumes et maquillages Vincent Deblue
Scénographie Sarah André, Vincent Deblue
Aide costume Baptiste Sorin
Aide construction décor Florian Gibat
Création son Marcin de Morsier
Régies Redwan ReysProduction Fair Compagnie
Coproduction Théâtre 2.21 Lausanne
Soutiens Ville de Lausanne, Loterie romande, Canton de Vaud, Fondation Nestlé pour lʼArt, Fondation Leenaards, Ernst Göhner Stiftung, Fondation Jan Michalski, FEEIGDurée : 1h15
La Manufacture, dans le cadre du Festival Off d’Avignon et de la Sélection Suisse en Avignon
du 7 au 20 juillet 2025, à 18h15 (relâche les 10, 14 et 17)
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