Invité en cette fin d’année à l’Opéra de Paris, Jiří Kylián y propose un programme en quatre temps, reflet de la diversité de son art. Voici son portrait en cinq mouvements.
Jiří, enfant de la balle
La danse a, pour ainsi dire, bercé l’enfance praguoise de Jiří Kylián. Sa mère Marketa était une jeune danseuse prodige. Par la suite il étudie le classique au Conservatoire avec Zora Semberoya –créatrice du rôle de Juliette sur la musique de Prokofiev-. Puis, titulaire d’une bourse, Jiri se forme à l’école du Royal Ballet londonien. L’histoire rattrape le jeune Jiří à son retour. Le rideau va se refermer sur son pays après le Printemps de Prague. Il finira par prendre l’un des derniers trains pour l’Ouest au départ de la Tchécoslovaquie. Il doit s’inventer une nouvelle vie du côté de Stuttgart. John Cranko, directeur du ballet, l’invite à créer. Mais c’est à la tête du Nederlands Dans Theater que Jiří Kylián montre en définitive l’étendue de son talent. Sinfonietta, Symphonie des Psaumes ou Stepping Stones ont, depuis, marqué les esprits. Cette dernière chorégraphie, entrée au répertoire de Ballet de l’Opéra de Paris en 2001, est reprise cette année. « Hommage au passé » pour reprendre les mots de Jiří Kylián, c’est un opus majeur
Le NDT, une révolution tranquille
Plaçant la troupe néerlandaise au premier plan, Jiří Kylian va en faire un laboratoire en mouvement. Plus qu’un style Kylián, ce que le chorégraphe rejette, on peut parler d’une musicalité doublée d’une réelle ouverture d’esprit. Sa langue chorégraphique peut être qualifiée de néo-classique ou de moderne. Mais Jiří Kylián est avant tout un amateur du beau geste. Il innove une fois de plus avec une compagnie junior au sein du Nederlands Dans Theater. Puis, en 1991, il se lance dans l’aventure du NDT 3 avec des danseurs âgés. Jiří Kylián, interrogé sur cette expérience, ne pouvait se résoudre à se séparer de ses meilleurs interprètes une fois passée la quarantaine. « Vous savez, lorsque vous êtes un jeune danseur, vous êtes effrayé par la carrière à venir. Vous avez peur, vous ne vous amusez pas tant que cela. A 40 ans, on voit les choses autrement ». William Forsythe, Mats Ek, Carolyn Carlson ou Ohad Naharin répondront à son appel. Mais le NDT 3 va trop vite cesser. Jiří Kylián quitte la compagnie en 2009. Brouillé durant une période, au point de retirer ses pièces du répertoire du NDT (74 au total !), il y est de nouveau invité.
La grammaire Kylián
Un humaniste en mouvement ? Un faiseur de gestuelle ? Jiří Kylián est tout cela à la fois. Ariane Bavelier, critique au Figaro, connaisseuse du travail du chorégraphe, parle de « beau bizarre, de mise en abîme, d’inquiétante étrangeté faisant rire au frissonner » à son propos. Du baroque au contemporain, il n’y a pas de frontière aux yeux du créateur praguois. Génie du pas de deux, à l’aise dans les grands ensembles à l’image de Arcimboldo, réunissant en 2000 les trois compagnies du NDT, Jiří Kylián est un insatiable. « Il y a toujours quelque chose derrière un geste, induit par le décor, la lumière et la musicalité » selon Ariane Bavelier.
Un répertoire vivant
Pas de création Jiří Kylián pour le Ballet de l’Opéra de Paris, pas plus que pour le Ballet de l’Opéra de Lyon ou le NDT. Jiří Kylián préfère pratiquer la photographie ou le cinéma de nos jours. On pourra le regretter. Mais il y a tant à (re)découvrir chez lui. A Garnier, outre Stepping Stones, Jiří Kylián supervise 2 entrées au répertoire : Gods and Dogs et Sechs Tänze. Sans oublier la reprise d’un de ses « tubes », Petite Mort. « Il me semble qu’aujourd’hui les danseurs sont beaucoup plus ouverts qu’auparavant. Leur conception de la danse a complétement changé. Moralement et physiquement, ils sont davantage ouverts à tout style, toute influence. Si j’étais venu travailler à l’Opéra il y a trente ans, il y aurait probablement eu une certaine forme de résistance à cet étrange langage qu’est le mien, à cette façon particulière de se déplacer » déclara le maître autrefois. De Hannah O’Neill à Mathieu Ganio, de Bleuenn Battistoni à Jack Gasztowtt, Kilian s’offre cet hiver des distributions en or.
Un homme de musique et d’images
Mozart, Beethoven, Webern ou Cage, les horizons musicaux de Jiří Kylián sont larges. Ses duos sont tout autant des concerts de danse. Il a également fait appel à des compositeurs contemporains comme Dirk Haubrich, Tomoko Mukaiyama ou Toru Takemitsu. Sur son site web, jirikylian.com, le visiteur trouvera un choix de films réalisés par Jiří Kylián lui-même comme Car-Men ou Scalamare. Le chorégraphe y travaille le mouvement comme le sombre, le regard comme les corps. On y retrouve en majesté la danseuse Sabine Kupferberg, sa femme et « muse ».
Philippe Noisette – www.scenenweb.fr
Soirée Jiří Kylián, du 8 au 31 décembre 2023, Palais Garnier, Paris
Stepping Stones, Petit Mort, Gods and Dogs et Sechs Tänze.
Ballet de l’Opéra de ParisSechs Tänze est également au programme du Ballet du Capitole du 21 au 31 décembre 2023
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