Pour sa dernière mise en scène en tant que directeur de la Volksbühne, Franck Castorf adapte « Le Roman de Monsieur de Molière » de Mikhaïl Boulgakov. Un spectacle fleuve, comme le Berlinois a l’habitude d’en monter, où il défend un théâtre libre contre une création destinée à satisfaire des mécènes et plus généralement le pouvoir en place. Une adresse qui fait étrangement écho aux polémiques suscitées par la nomination de son successeur, Chris Dercon, à la tête de la Volksbühne. À voir à Avignon jusqu’au 13 juillet.
Dans le grand espace du Parc des Expositions, les trois modules qui composent la scénographie monumentale semblent petits. Une carriole-théâtre ambulante, un salon aristocratique, le lit du roi à Versailles, trois lieux dans lesquels vont se dérouler sous nos yeux la vie de Molière toute entière, de sa naissance à sa mort, en passant par ses amours et ses principales créations. Comme à son habitude, Frank Castorf va brouiller les pistes de ce fil narratif en faisant appel à d’autres auteurs, outre Racine, Corneille et Molière lui-même, un long passage de Rainer Werner Fassbinder vient conforter la dimension politique de l’histoire.
Castorf compose en effet un drame où les destins de Jean-Baptise Poquelin, Mikhaïl Boulgakov et le sien ne font qu’un. Ils sont des artistes dépendant du pouvoir qui décident un jour – ou sont obligés – de s’émanciper des « salauds d’exploiteurs » et de l’hypocrisie inhérente à ce milieu. L’analogie est flagrante entre le théâtre du Palais-Royal, que Molière dirige et la Volksbühne, avec son lot de vautours et de détracteurs qui entourent ces institutions que trois siècles séparent. Mais c’est avec beaucoup de finesse que Castorf règle ses comptes, rien à voir avec Les Parisiens d’Olivier Py présenté aussi dans le cadre du festival.
Visuellement, la perspective produite par l’immense scène fait naître des images splendides desquelles jaillissent toute la désillusion de l’artiste piégé cherchant à conquérir un monde nouveau où il n’aurait plus de comptes à rendre. Les symboles sont légion, d’un lit damassé de logos Louis Vuitton à l’immense médaille Versace surplombant la couche, l’amateur de sémantique pourra passer une bonne partie du spectacle à chercher des signes et à les interpréter.
Ces lieux magiques sont habités par des personnages fantasques : Louis XIV fume en permanence et Armande Béjart est une jeune folle délurée, sans oublier l’Archevêque de Paris qui incarne le plus naturel des tartuffes. Comme à son habitude, Castorf filme tout ce petit monde parfois en très gros plans et fait de ces images et des visages un élément central du spectacle.
Les comédiens improvisent sans cesse, sont parfois eux-mêmes, parfois leurs personnages. Madeleine Béjart, incarnée par Jeanne Balibar sera appelée à un moment « Madeleine Balibéjart » et le génial Alexander Scheer, figure centrale de l’artiste qui joue tour à tour Molière et un réalisateur paranoïaque, imite allègrement Franck Castorf au travail pour un public hilare. Les personnages, aussi illustres soient-ils, ne se prennent jamais au sérieux.
La démesure est l’apanage du jeu des comédiens de la Volksbühne. Ils déversent leur art sans limites dans l’action. Ils hurlent, s’empoignent et vivent des sentiments d’une intensité brûlante. On comprend pourquoi d’une scène à l’autre la narration peut être brisée mais la tension ne redescend pas : les acteurs ne jouent pas des scènes qui débuteraient et s’achèveraient successivement et feraient comprendre l’action de façon symbolique. Comme toujours chez Castorf, ils mènent les discussions jusqu’à leur terme, ne se contentent pas de les signifier : une dispute, une séparation est montrée du déclenchement à la fin, jusqu’au déchirement. Les protagonistes conservent l’état dans lequel ces accidents émotionnels les plongent d’un tableau à l’autre. Pour le spectateur, cela peut être déroutant car les actions sont parfois très différentes : dans une autre époque, dans un autre lieu. Mais le lien est bien là, dans le dévouement des comédiens à une sorte de combat pour être.
Avec toutes ses qualités le théâtre de Castorf reste cependant un lieu austère, avec des longueurs importantes. Les références sont si nombreuses qu’il est difficile de toutes les saisir. Mais si l’on se donne la peine de s’accrocher jusqu’à la fin du spectacle, la satisfaction n’en est que plus grande et la réflexion continuera de suivre son cours.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
Die Kabale der Scheinheiligen
Textes Mikhaïl Boulgakov, Pierre Corneille, Rainer Werner Fassbinder, Molière, Jean Racine
Traduction Thomas Reschke
Mise en scène Frank Castorf
Dramaturgie Sebastian Kaiser
Musique Sir Henry / Scénographie Aleksandar Denic
Lumière Lothar Baumgarte
Vidéo Andreas Deinert, Mathias Klütz, Kathrin Krottenthaler
Son Klaus Dobbrick, Tobias Gringel
Costumes Adriana BragaAvec Jeanne Balibar, Jean-Damien Barbin, Frank Büttner, Jean Chaize, Brigitte Cuvelier, Georg Friedrich, Patrick Güldenberg, Sir Henry, Hann Hilsdorf, Rocco Mylord, Sophie Rois, Lars Rudolph, Alexander Scheer, Daniel Zillmann
Production Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz
Avec le soutien du Goethe Institut / Ministère allemand des Affaires étrangères pour la 71e édition du Festival d’Avignon
Le Roman de Monsieur de Molière de Mikhaïl Boulgakov, traduction Michel Pétris, est publié aux éditions Gallimard
durée 5h30 entracte compris
spectacle en allemand surtitré en françaisFestival d’Avignon 2017
8 9 | 11 12 13 JUILLET
À 17H
PARC DES EXPOSITIONS – AVIGNON
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