C’est une affaire qui roule. Après le succès des deux précédents volets, Je suis trop vert boucle avec brio la trilogie ado de David Lescot. Un trio de comédiennes hilarantes, un décor tout en trappes et cachettes, le sens de l’observation, le goût de la formule et des enjeux bien d’aujourd’hui, l’artiste a l’art de croquer la jeunesse de notre époque et d’aborder avec légèreté un âge dit difficile.
Troisième volet de sa trilogie jeune public consacrée à l’entrée dans l’adolescence, Je suis trop vert prend le relais survolté des deux précédents et clôt la série dans le même élan galvanisant, avec un dispositif scénique identique et un trio d’actrices promptes à se glisser, tels des caméléons réjouissants, dans la panoplie baskets-sweat à capuche propre à cet âge où le style fait l’ado. Quand J’ai trop peur abordait avec une malice délicieuse l’angoisse provoquée par l’imminence de l’entrée en 6e et du cap à passer, J’ai trop d’amis nous rassurait sur la capacité d’intégration de notre jeune héros et sa cote de popularité révélait un capital sympathie non démenti par la fidélisation d’un public conquis. C’est donc fort d’un concept qui marche et d’une recette qui fait des adeptes que Je suis trop vert poursuit l’exploration des joies et des déboires de la vie au collège. Mais le spectacle ne s’y enlise pas et quitte rapidement les bancs de la classe pour une expédition bretonne en milieu rural. La 6e D part en classe verte et c’est toute une aventure ! Rien ne se passera comme prévu, depuis la mise en place du voyage jusqu’à sa dernière nuit, mais les étapes sont bel et bien là : le vertige du départ, le transport en car, la découverte de la vie à la campagne et plus encore des tâches agricoles qui ne sont pas une mince affaire quand on n’a pas l’habitude. Les préjugés sur la ruralité en prennent pour leur grade : le calme de la campagne est en réalité un vacarme, les nuits sont courtes, peuplées de fantômes, et les journées harassantes.
Une fois de plus, avec une aisance confondante et un humour mordant, David Lescot concocte un récit initiatique aussi tendre que caustique où l’on rit de bon cœur, frémit ou sourit, où le public s’identifie facilement à ce gamin attachant qui nous livre avec une sincérité désarmante le fond de ses pensées, ses tracas, ses colères, ses émois. Déjà présente dans les deux premiers opus, son inénarrable petite sœur jaillit littéralement de sa trappe, toujours prête à bondir sans prévenir du haut de ses 3 ans et de sa diction approximative qui provoque l’hilarité de la salle. On la retrouve avec un plaisir non dissimulé, voix de crécelle, couettes en goguette et ballon à la main. C’est effectivement l’une des vertus de la trilogie que de tresser nos retrouvailles avec des personnages identifiables et récurrents, drôles et proches de nous. La complicité qui se noue de spectacle en spectacle et les multiples clins d’œil – ah, ce tube pop et sucré qui reste dans la tête toute la sainte journée ! – donnent à l’expérience un supplément d’âme non négligeable. David Lescot construit un réseau d’échos et de références communes avec son public familier, car, si chaque spectacle fonctionne en autonomie, le délice est culminant lorsqu’on les a tous vus.
Dans la droite lignée de ses prédécesseurs, Je suis trop vert propose une immersion collégienne qui a le mérite de s’adresser à toutes les générations. Les enfants sont à fond et l’effet miroir est saisissant, tandis que les parents replongent instantanément dans leurs années collège et voient leurs souvenirs affluer au rythme des saynètes allègrement troussées, toujours justes et bien senties. Car David Lescot a l’art d’écrire à hauteur de casquettes : la sienne, celle de sa propre enfance qui infuse en sourdine, mais aussi celles des jeunes d’aujourd’hui, au présent, en phase avec leurs expressions, leurs postures, leurs comportements. Comme toujours, les dialogues rythmés et percutants font mouche ; comme toujours, jeux de mots et répliques au taquet font le sel de la pièce. Les thèmes abordés résonnent intensément avec des enjeux de société urgents. Je suis trop vert est branché sur son époque et prend le pouls de sa jeunesse. Son intrigue confronte un gosse de la ville avec une fille des champs et le choc des cultures produit un joyeux tintamarre, une bande-son inattendue, hybride et électrisante.
Dans une scénographie minimaliste et efficace, similaire aux précédentes, une estrade en bois pleine de trappes et de surprises – ingéniosité maximale conçue par François Gauthier-Lafaye – qui pose un cadre de jeu clair et dynamique, les comédiennes sortent comme des diables de leur boîte pour interpréter les différents personnages, cumulant les rôles avec un sacré tonus et un goût pour la transformation physique percutant – mention spéciale aux costumes et perruques signés Mariane Delayre qui dessinent des silhouettes super chouettes, comme des personnages de BD dans des vignettes. Englouti sous sa capuche, morveux et timoré, Basile est un clown de la plus belle espèce tandis que Valérie, la fille de la ferme, écolo déterminée et sans concession, fait contrepoint avec un sens de la musicalité propre à notre auteur, également musicien et compositeur.
C’est une histoire de dépaysement, de découverte de l’altérité, de conscience environnementale qui se joue sous des airs de comédie insouciante et de teenage story désopilante. C’est une fable d’aujourd’hui qui, avec peu, transforme un socle de bois en salle de classe ou en étable, en car ou en dortoir, en cour de ferme ou de récré, et nous transporte avec un entrain communicatif dans les rites de passage inoubliables de cet âge transitionnel et transitoire. Et c’est le goût de grandir que l’on redécouvre au contact de ces ados qu’on a désormais l’impression de connaître de près. Définitivement culte !
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Je suis trop vert
Texte et mise en scène David Lescot
Avec, en alternance, Lyn Thibault, Élise Marie, Sarah Brannens, Lia Khizioua-Ibanez, Marion Verstraeten, Camille Bernon
Scénographie François Gauthier-Lafaye
Lumières Juliette Besançon
Costumes Mariane Delayre
Assistante à la mise en scène Mona TaïbiProduction Compagnie du Kaïros
Coproduction Théâtre de la Ville-ParisLa Compagnie du Kaïros est soutenue par le ministère de la Culture – DRAC Île-de-France. Le texte de la pièce est édité aux Solitaires Intempestifs, collection jeunesse, avec les illustrations d’Anne Simon.
Durée : 50 minutes
À partir de 8 ansThéâtre de la Ville, Paris
du 2 au 16 novembre 2024Théâtre + Cinéma, Scène nationale Grand Narbonne
du 19 au 21 novembreThéâtre Nouvelle Génération, CDN de Lyon
du 9 au 18 décembreThéâtre de l’Olivier – Scènes et Cinés, Istres
du 13 au 15 janvier 2025Théâtre des Sablons, Neuilly-sur-Seine
du 30 janvier au 1er févrierMCL Gauchy
les 27 et 28 févrierThéâtre André Malraux, Rueil-Malmaison
les 12 et 13 marsCap Sud, Poitiers, dans le cadre de la saison Les petits devant, les grands derrière
du 13 au 16 avrilThéâtre du Champ du Roy, Guingamp
les 28 et 29 avril
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !