Des créatures étranges, chimériques ou fantasmatiques, insectoïdes ou dégenrées, parcourent les différentes pièces du nouveau programme mixte proposé au Palais Garnier plaçant, au cœur d’une longue soirée, le groupe, le corps et l’hybridité. Si les gestes chorégraphiques de Thierrée, Shechter, Pérez et Pite sont indéniablement puissants et efficaces, ils semblent trop flirter avec l’entertainment.
Dans les espaces publics du Palais Garnier, les spectateurs s’agglutinent comme des mouches pour tenter de voir apparaître l’essaim de frelons imaginé par James Thierrée. Invité pour la première fois à l’Opéra de Paris, l’artiste ne renie pas l’esprit forain et circassien de son univers. La performance qui repose sur la circulation permanente du public et des interprètes en carapaces sombres et dorées tourne vite au vacarme et à la confusion. La lente parade déambulatoire s’achève sur le plateau où la horde de Vespidés se fait happer par une structure mouvante.
Les deux pièces centrales se distinguent par leur distribution, exclusivement féminine chez Hofesh Shechter, entièrement masculine chez Ivan Pérez. The Art of Not Looking Back, recréé pour l’Opéra de Paris, met en scène des corps féminins convulsionnés, tout entiers tendus vers le ciel, bras puis sexes offerts dans une forme d’imploration combative qui s’apparente à l’éveil d’une transe. La violence et la douleur latentes de la proposition trouvent écho dans le choc vécu par le chorégraphe israélien lorsqu’il fut abandonné par sa mère au plus jeune âge. Si Bach s’invite furtivement dans la danse, s’imposent surtout la parole libératrice et le cri viscéral de l’artiste dont l’univers tapageur est plus proche du rock heavy metal et cherche à provoquer l’électrochoc. Portée par l’énergie chorale et l’art de la pulsation caractéristiques de son travail, l’œuvre est d’une abusive pesanteur.
En contrepoint, The Male dancer voudrait casser les conventions de la danse qui, selon son signataire, réduisent les danseurs à une monstration de force et de vigueur. Hélas, la pièce, un peu vaine, semble maladroitement cultiver les stéréotypes plutôt que de les évincer. En tenues de soirée rose bonbon ou magenta, couverts de paillettes, strass, motifs floraux, col à fourrure, nos papillons de nuits s’adonnent à quelques mouvements inspirés du voguing, moulinets de bras et cambrures de bassin, puis s’éteignent doucement, éperdus, dénervés. Malgré la beauté singulière des danseurs, le gracile et gracieux Marc Moreau, le romantique en diable Hugo Marchand, une monotonie spleenétique se déploie dans un ensemble bien surfait.
Fort d’une excellente réputation, The Season’s Canon de Crystal Pite créé la saison dernière embrase pour finir le palais Garnier. L’investissement de la troupe est intact. En treillis et torse nu, 50 danseurs forment une houle fiévreuse et solaire, une sorte de radeau de la méduse où se débattent, se déchaînent, des corps bandés, agités. C’est un massif et impressionnant tableau qui transpire d’une force physique, musculeuse, inouïe sans se départir d’une certaine poésie dans ses effets de masses, ses courses et ses chutes à répétition. Charpenté et habité, François Alu fait merveille. Il irradie comme Vincent Chaillet, Daniel Stokes, Ludmila Pagliero, Adrien Couvez, Alice Renavand et Marie-Agnès Gillot au diapason d’une œuvre intense conçue comme une célébration de l’immensité du monde naturel.
On peut aimer l’ampleur et l’extrême franchise de ces gestes chorégraphiques exultants, leur impulsion, leur détermination constantes. Ils paraissent pour autant trop lourdement contrôlés, appuyés, formatés. Cette danse « mainstream » n’est pas sans beauté mais surtout non exempte de facilités.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Frôlons
Création dans les espaces publics
Chorégraphie
James ThierréeThe Art of Not Looking Back
Nouvelle version
Musique
John Zorn
Johann Sebastian Bach
Nitin Sawhney
Chorégraphie
Hofesh Shechter
Costumes
Becs Andrews
Eclairages
Lee CurranThe Male Dancer
Chorégraphie
Iván Pérez
Musique
Arvo Pärt
Costumes
Alejandro Palomo
Lumières
Tanja Rühl
Scénographie
Tanja RühlThe Seasons’ Canon
Musique
Max Richter
Recomposed : Antonio Vivaldi The Four Seasons
Chorégraphie
Crystal Pite
Décors
Jay Gower Taylor
Costumes
Nancy Bryant
Lumières
Tom VisserLes Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet
Musique enregistréePalais Garnier – du 18 mai au 08 juin 2018
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