Le metteur en scène flamand ressuscite, plus de dix après sa création avec la troupe de l’International Theater Amsterdam, son diptyque bergmanien qu’il confie à quatre comédiens français. En demi-teinte, cette reprise vaut surtout pour son second volet, porté par Emmanuelle Bercot et Justine Bachelet.
Une décennie plus tard, Ivo van Hove a donc décidé de marcher dans ses propres pas, ceux qui, en 2012, l’avaient déjà conduit jusqu’à Bergman. Après son adaptation, un an auparavant, de Scènes de la vie conjugale, le metteur en scène flamand avait confié à la troupe de l’International Theater Amsterdam qu’il dirige non pas un, mais deux scénarios du réalisateur suédois, Après la répétition et Persona, qui, présentés successivement, semblaient former, naturellement, les deux parties d’un même symbole – alors que le premier est plutôt considéré par certains spécialistes comme un appendice de Fanny et Alexandre. Donné à la MAC Créteil, à une époque où Ivo van Hove n’avait pas, en France, la renommée qu’il connaît aujourd’hui, ce diptyque avait eu l’effet d’une déflagration, capable, en interrogeant la place de l’art et du théâtre dans nos vies, d’emporter les spectateurs dans les méandres de l’âme humaine. Une performance que le metteur en scène ne réitère que partiellement au long du remake qu’il crée, plus de dix ans après, avec un quatuor de comédiens français.
Respectivement diffusés à la télévision en 1984 et au cinéma en 1966, Après la répétition et Persona plongent, chacun à leur manière, au coeur des coulisses de la création théâtrale, et surtout à l’intérieur de l’espace mental de ses architectes. Tandis que, dans le premier, un metteur en scène, Henrik Vogler, se retrouve seul dans une salle de répétitions où il monte Le Songe de Strindberg, le second s’ouvre sur le malaise aigu d’une comédienne, Elizabeth Vogler, qui, en plein spectacle, s’interrompt brusquement au milieu d’une tirade d’Électre, comme foudroyée. Chacun enfermé dans leur solitude inversée, créatrice pour l’un et destructrice pour l’autre, ils ne tardent pas à être rejoints, dans un curieux parallélisme scénaristique, par une jeune femme qui brise leur tour d’ivoire psychologique. Pendant que Alma, une infirmière, tente d’apporter du réconfort à Elizabeth, et de comprendre les raisons de sa dépression nerveuse, Anna, une comédienne, débarque dans l’antre d’Henrik. Portée par une atmosphère où les frontières entre réalité et théâtre se brouillent, elle noue une relation ambiguë avec lui, dans le sillage de sa mère Rakel, qui, dans sa jeunesse, avait elle aussi été la maîtresse du metteur en scène, et qui ne tarde pas, furieusement alcoolisée, à s’inviter dans leur conciliabule.
Avec le sens précis de la dramaturgie qu’on lui connait, Ivo van Hove se plaît à établir des passerelles troublantes entre ces deux oeuvres, notamment en faisant de Rakel et d’Elizabeth les pierres angulaires de son nouveau système, les deux faces d’une même figure, celle, bouleversante, de la comédienne vieillissante, incapable de trouver sa place dans un monde du théâtre qui, au fil des années, l’a rongé jusqu’à l’os, avant de la recracher, seule, sur le rivage. Malgré ce fil rouge intellectuellement stimulant, qui n’apparaît réellement que lors du second volet de ce diptyque, Après la répétition / Persona peine à dépasser, dans sa première partie, le stade du drame petit bourgeois, un peu fade, terne et recroquevillé sur lui-même. Face à Emmanuelle Bercot et Justine Bachelet qui, en mère et en fille vénéneuses, produisent déjà quelques étincelles, Charles Berling campe un metteur en scène basse intensité, loin, très loin, de la folie à laquelle l’invitait le scénario de Bergman, où l’artiste ne perçoit plus le réel qu’à travers le prisme de ses obsessions théâtrales, devenues existentielles.
Il faut alors attendre la fin de l’entracte, et l’ouverture de Persona, pour qu’Ivo van Hove renoue, à bras-le-corps, avec la radicalité bergmanienne, grâce aux talents scénographiques de son fidèle Jan Versweyveld et à la performance de ses deux comédiennes – auxquelles Elizabeth Mazev vient, avec une grande justesse, prêter main forte. Allongée, intégralement nue, sur une table de dissection, éclairée par une lumière chirurgicale, Emmanuelle Bercot donne, en un seul tableau, une image poignante de la souffrance d’Elizabeth Vogler. Épaulée par la saisissante explosion du décor, qui transforme la salle de répétitions étriquée des débuts, devenue entre-temps chambre d’hôpital, en île entourée d’eau – à l’image, peut-être, de celle de Fårö où Bergman avait tourné Persona –, la comédienne condamnée au mutisme se révèle, dans sa gestuelle comme dans les multiples expressions de son visage, remarquable d’intensité, en mesure, par sa seule présence, de traduire toute l’ambivalence du comportement de l’actrice. À ses côtés, la jeune Justine Bachelet, déjà aperçue dans La Ménagerie de verre, montée en 2020 par le même van Hove, mais aussi dans plusieurs pièces d’Élise Chateauret (Saint-Félix, À la vie), ne se contente pas de donner le change et offre au personnage d’Alma une aura en clair-obscur, vectrice de ces tourments humains que, depuis le début, nous attendions tant.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Après la répétition / Persona
de Ingmar Bergman
Mise en scène Ivo van Hove
Avec Emmanuelle Bercot, Charles Berling, Justine Bachelet, Elizabeth Mazev et la voix d’Isabelle Huppert
Dramaturgie Peter van Kraaij
Traduction Daniel Loayza
Scénographie et lumières Jan Versweyveld
Costumes An D’Huys
Conception sonore Roeland Fernhout
Assistant mise en scène Matthieu Dandreau
Assistant lumières Dennis van Scheppingen
Assistant décors et scénographie Bart Van Merode
Assistante costumes Anna Gillis, Sandrine Rozier
Accessoiriste Sébastien Grange
Habilleuse Lucie Lizen
Maquilleuse / Perruquière Marine PietteProduction Printemps des Comédiens / Cité du Théâtre Domaine d’O, Montpellier
Coproduction Théâtre de la Ville, Paris ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; GRRRANIT – Scène Nationale de Belfort ; La Filature – Scène Nationale de Mulhouse ; Théâtre National Wallonie-Bruxelles ; Châteauvallon-Liberté – Scène Nationale, Toulon ; Le Volcan – Scène Nationale du Havre ; Points communs – Nouvelle Scène Nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise ; Internationaal Theater AmsterdamDurée : 3h
(1h15 / entracte / 1h15)Domaine d’O, Amphithéâtre d’O, Montpellier, dans le cadre du Printemps des Comédiens
du 1er au 4 juin 2023Châteauvallon-Liberté – Scène Nationale, Toulon
du 28 septembre au 1er octobreThéâtre de la Ville, Paris
du 6 au 25 novembrePoints communs, Nouvelle Scène Nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
les 6 et 7 décembreLa Filature, Scène Nationale de Mulhouse
les 22 et 23 mars 2024MC2: Grenoble
les 11 et 12 avrilLe Volcan, Scène Nationale du Havre
les 16 et 17 maiLes Théâtres de la Ville de Luxembourg
Automne 2024Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Automne 2024
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !