Tout en annonçant officiellement que l’annonce du président et les incertitudes liées à la crise du Coronavirus « rendent impossible la tenue du festival Off d’Avignon », Avignon Festival & Compagnies, l’association qui chapeaute le festival Off d’Avignon, demande à l’État et aux collectivités locales la constitution d’un fonds d’urgence. Au-delà de la crise se profilerait ainsi l’occasion unique d’en modifier le fonctionnement. Entretien avec Pierre Beyfette, Président d’AF&C.
A combien évaluez-vous les pertes liées à l’annulation du festival Off ?
Si on parle de chiffre d’affaires direct, le calcul est assez simple. Si l’on multiplie le nombre de sièges par le nombre de créneaux et le prix moyen de la location du siège, on est entre 15 et 20 millions de pertes.
Qui va subir ces pertes ?
Le discours du Président devrait être suivi d’un décret qui va cadrer les choses juridiquement. Pour le Off d’Avignon, presque tous les contrats signés relèvent du droit privé. Normalement, l’interdiction des festivals de grande taille devrait conduire à établir un cas de force majeure. Si bien que les arrhes versés par les compagnies pour les locations de créneaux devraient être rendus aux compagnies. Les théâtres et propriétaires des salles devraient donc supporter le manque à gagner de cette annulation. Côté assurances, pour ne pas tomber sous le coup de la force majeure, certaines ont plaidé que la déclaration de pandémie de l’OMS du 31 janvier rendait les choses prévisibles pour les contrats signés au-delà de cette date. Mais certains tribunaux sont déjà allés contre cette vision des choses.
« Je ne pense pas que l’argent public doive servir à compenser des manques à gagner »
Vous avez demandé la création d’un fonds d’urgence, à qui devrait-il servir ?
Avant de savoir à qui donner l’argent, il faudrait déjà que ce fonds soit accordé. Nous en adressons la demande à l’État et aux collectivités locales. Ensuite, il faudra étudier au cas par cas qui soutenir. Il ne pourrait évidemment pas être destiné aux commerçants de la ville. Je suis pleinement solidaire avec eux, et je sais qu’avec les manifestations des gilets jaunes et les grèves pour les retraites, leur chiffre d’affaires a été déjà très impacté cette année. Mais leur venir en soutien n’est évidemment pas dans notre périmètre.
Quelle serait pour vous la meilleure philosophie à adopter dans la répartition de ce fonds?
Il ne faut pas que les acteurs du festival revendiquent un caractère privé quand ils veulent gagner de l’argent et qu’ils fassent appel au public pour éponger les dettes. Ce n’est pas ma philosophie. Les entrepreneurs dont je fais partie, puisque je suis producteur, ont déjà des dispositifs de l’État pour les soutenir. Les intermédiaires, ce n’est pas la priorité. Ce fonds serait avant tout destiné aux plus fragiles, aux compagnies et aux théâtres que cette annulation menacerait de disparaître. Beaucoup ont déjà pas mal gagné à Avignon. Je ne pense pas que l’argent public doive servir à compenser des manques à gagner.
« C’est l’occasion ou jamais pour l’État de dire : on met des règles »
Vous dites par ailleurs que ce pourrait être l’occasion de repenser le Festival Off, qu’entendez-vous par là ?
Pour moi, le Festival Off est un très bon exemple de ce que la dérégulation peut produire. Au point qu’on trouve normales plein de choses qui ne le sont pas. Que des artistes viennent travailler sans être payés. Normal. Qu’on paye des appartements plus cher qu’à Monaco. Normal. Qu’on encaisse des arrhes six à dix mois à l’avance pour des locations de salle. Normal. Tout est à ce point dérégulé que je m’étonne que ça marche encore comme ça. Mais en même temps, ça va, tout le monde vient au Festival et le Festival rayonne. Alors, profitons de cette annulation pour nous poser la question : on continue comme ça ou on change ? On régule ou pas ?
Comment changer ? Comment réguler ?
Cette crise est l’occasion dans tous les domaines de se rendre compte qu’on est arrivé aux limites d’un système. Que veulent les salles, les théâtres et l’État ? On dit souvent que l’absence d’intervention de l’État assure au festival sa richesse et sa diversité. Comme c’est privé, on fait ce qu’on veut. Mais je crois que les compagnies ont envie que les choses changent. Ce sont elles qui subissent le plus la dérégulation. La création d’un fonds d’urgence, c’est donc l’occasion ou jamais pour l’État de dire au Festival Off, on apporte de l’argent, donc on met des règles. Si j’étais Ministre de la Culture, c’est ce que je ferais. Mais l’Etat le veut-il ? Les compagnies le veulent-elles vraiment ? Moi, je ne peux pas décider de ça.
Propos recueillis par Eric Demey – www.sceneweb.fr
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