L’autrice, poétesse et dramaturge Gerty Dambury sera l’invitée du mois Kréyol le 26 octobre au Théâtre 13 à l’occasion de La Fabrique des insomniaques. Par ailleurs, elle est toujours très impliquée dans le collectif Décoloniser les Arts. Après sa tribune lue dans le jardin Ceccano en juillet 2018, Sceneweb a voulu faire un état des lieux.
Au mois d’octobre débute le festival Le mois Kréyol, dont vous êtes l’une des invitées. Après deux éditions en 2017 et 2018, le festival 2019 semble prendre de l’ampleur. Qu’en pensez-vous ?
C’est une bonne chose que ce festival existe et qu’il prenne de l’ampleur. Je voudrais simplement mettre cet événement dans la continuité des actions autour du créole qui ont été menées depuis une bonne vingtaine d’années, si ce n’est plus, par différents collectifs. Je pense notamment au travail de Tony Mango et Igo Drané qui ont lutté ensemble pour la défense de l’enseignement du créole au lycée et la possibilité d’avoir le créole au baccalauréat dans l’hexagone. Leurs actions et celles d’autres collectifs qui travaillent notamment sur les carnavals et les mas [mot créole pour masque, NDR] ont contribué à asseoir le créole dans les communautés de Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, etc. Le mois Kréyol est donc une sorte de prolongement et d’amplification de ces combats auprès d’un public plus large. Tout cela a été rendu possible par des actions qui, au départ, étaient plus militantes qu’artistiques.
Quel constat faites-vous de la présence des cultures créoles sur les scènes françaises aujourd’hui ?
Mon constat n’est pas très positif. L’une des choses qui, personnellement, me dérange, c’est la nécessité d’avoir, pour représenter la culture créole, des espaces spécifiques pour une culture qui est toujours vue comme spécifique. Les cultures de Guadeloupe, Martinique, Guyane, etc. ont des points communs mais aussi beaucoup de différences. Pour cela, j’ai du mal à rassembler cette variété sous le vocable d’« outremer » qui ne reflète pas la variété de ces cultures. Pourtant, cette variété pourrait trouver sa place sur les scènes de France tant en musique, qu’en danse ou en théâtre. D’autant que, la plupart du temps, le théâtre dit « créole » n’est pas forcément en langue créole. La compréhension de la langue n’est pas le problème à l’origine de la sous-représentation. Et même s’il y avait un problème de compréhension, on surtitre des pièces jouées en russe, italien ou espagnol, alors pourquoi pas en créole ? De mon point de vue, il demeure une sorte de confinement dans quelque chose qui frise le folklore et qui ne rend pas pleinement hommage à toutes les recherches artistiques qui sont conduites.
Quel exemple, selon vous, illustre ces recherches artistiques riches et pourtant mal connues ?
L’exemple du gwoka [genre musical originaire de Guadeloupe, NDR]. Toutes les recherches artistiques qui ont été faites dans ce domaine pour que, précisément, on intègre d’autres instruments que les tambours. Le rapport qui existe entre le gwoka et le jazz et comment tout cela a été mis en lumière par des artistes de grand talent. Ils n’ont pas encore la place qu’ils méritent.
Est-ce que des artistes, émergents ou non, mériteraient d’être davantage connus du grand public ?
Dans le domaine de la musique je pense à Arnaud Dolmen qui commence à être un peu repéré mais qui a un talent absolument fou. Dans les arts plastiques, une jeune femme comme Anaïs Verspan n’est pas suffisamment connue. Il y a Karine Pédurant, que je considère comme une très grande comédienne en gestation. En littérature, je pense à Gaëlle Octavia, qui a eu le prix Wepler avec La fin de Mame Baby, ce n’est pas mal, mais il y a encore beaucoup à faire ! Il y a d’autres gens à découvrir, je ne les ai malheureusement pas tous en tête à cet instant mais la liste pourrait être longue.
Qu’est-ce qui met un frein à l’émergence de ces artistes ?
L’entre-deux dans lequel se trouvent les cultures des départements français qui sont français tout en ne l’étant pas. Il y a, je crois, un regard lié à une histoire longue et pleine de préjugés qui fait qu’on peut entendre un directeur de théâtre, l’ancien directeur du 104 pour ne pas le nommer, « des créateurs antillais ? je n’ai jamais entendu parler de ça ! ». C’est assez incroyable quand on sait que ces créateurs ont nourri de leur travail la vie parisienne, notamment dans les années 1930. Récemment, je regardais un reportage sur le groupe Kassav’. Je ne suis pas une enragée du zouk mais j’aime beaucoup certaines chansons de ce groupe. Kassav’ est le plus grand groupe français en termes de capacité de rassemblement de population. Il n’y a pourtant jamais eu d’hommage télévisé rendu à Kassav’ à part sur France O ou les chaînes consacrées à l’outremer. La culture créole est dans une case dont il est très difficile de sortir à cause d’une situation politique complexe où, nous même, nous jouons la carte de la spécificité, car c’est seulement comme cela que nous pouvons ramasser des subventions qui nous permettent d’exister.
Est-ce que vous croyez que la culture de Guadeloupe ou de Martinique devrait être considérée comme un régionalisme au même titre que la culture Occitane ou Alsacienne ?
Je ne suis pas sûre que les autres régionalismes soient intégrés à la culture française puisqu’on parle précisément d’auteurs « régionalistes » même si eux, quand ils écrivent, ne voient pas forcément leur œuvre comme telle. Cela étant dit, une autre différence est d’ordre géographique. La Guadeloupe ou la Martinique ne sont pas sur le même territoire que l’Occitanie qui est le sud de la France ou l’Alsace qui est à l’est. Nous sommes éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, dans un bassin où nous avons davantage en commun avec les territoires qui nous entourent qu’avec l’Auvergne. Intégrer la culture guadeloupéenne ou martiniquaise, cela voudrait dire intégrer la culture haïtienne, jamaïcaine, etc…
Vous êtes très impliquée dans le mouvement Décoloniser les Arts. En juillet 2018, David Bobée vous a invitée au jardin Ceccano pour lire un texte manifeste (publié par la suite sur Sceneweb). Est-ce qu’il y a eu du changement depuis les revendications que vous portiez au moment de l’écriture de ce texte ?
Au niveau de la cérémonie des Molières, rien n’a vraiment changé à part le fait qu’on ait invité un humoriste noir, Fary, à se moquer du fait que des Molières étaient toujours blancs et essentiellement masculins. C’est un signal positif : quand on arrive à se moquer de soi-même, c’est déjà un pas en avant. Mais dans la sélection, on était exactement au même point que les années précédentes. En revanche, sur les plateaux, on constate qu’il y a davantage d’artistes dits « racisés ». Je n’ai qu’à prendre l’article de rentrée de Sceneweb qui donne une belle image du nombre de personnes concernées, noires en particulier, qu’il y a sur scène. Mais cela amène à une autre question : où se trouvent les « racisés » dans les productions ? La plupart du temps, dans une situation d’interprétariat. Les créateurs « racisés » en coulisse eux, restent toujours en très petit nombre. Cela n’est pas anodin car cela touche une question que nous portons à Décoloniser les Arts, à savoir de quel point de vue sont abordés les récits ? La sous-représentation de personnes « racisées » conduit à la permanence d’une réalité à remettre en cause. Par exemple, le théâtre s’intéresse aux migrants, nous savons que la plupart des migrants sont des personnes « racisées ». Il serait bien de s’interroger sur le fait que, sur les plateaux, on emploie des noirs pour jouer les migrants et non pas pour jouer autre chose.
Est-ce que vous observez l’émergence d’artistes racisés dans certaines institutions conservatrices comme la Comédie-Française avec des artistes comme Birane Ba ou Gaël Kamilindi par exemple ?
J’aurais du mal à vous dire non dans le sens où avant c’était 0 et maintenant on se retrouve avec quelques-uns ! Il y a un effort de fait. Par ailleurs, le Conservatoire d’Art Dramatique fait un effort au niveau du recrutement en intégrant à sa mission la volonté de diversifier les genres et les parcours. Maintenant, il faut se poser la question de ce que ressentent ces jeunes quand ils se retrouvent là. Leur sensibilité est-elle prise en compte ? À Décoloniser les Arts, les jeunes « racisés » qui sont en formation, peu importe le domaine : arts appliqués, théâtre, cinéma ou musique, nous disent qu’ils ne se sentent pas bien dans ces écoles. La responsabilité de cet état est partagée, ce ne sont pas les enseignants qui disent « mets-toi sur le côté, on s’occupera de toi plus tard », mais le fait d’être distribué dans une pièce ne signifie pas que vous y êtes accueillis. Maintenant que ces jeunes sont là, comment faire pour qu’ils se sentent à leur place ? La réponse reste à trouver.
Propos recueillis par Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
En savoir plus : Le mois Kréyol (Octobre 2019)
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