En s’attaquant aux coulisses de la télé-réalité, Johanne Débat retourne le réel comme un gant et jette le trouble. Incroyable mais vrai ressemble fortement à une mystification habile, une mise en abyme vertigineuse de la fabrique du spectacle. Glaçant et hilarant à la fois.
Derrière son titre à sensation qui ne pèse pas ses mots et envoie du lourd, Incroyable mais vrai ne cache pas ses intentions et pratique une ironie mordante bien placée, un sacré sens du décalé dans une mécanique théâtrale hyper efficace qui use des ressorts de la comédie avec un brio décoiffant. Car les spectacles conçus par Johanne Débat avec la Compagnie Modes d’emploi n’aiment rien tant que décortiquer le réel pour mieux voir ce qu’il y a en-dessous, questionner notre société et ses règles du jeu en les reprenant au plateau pour mieux les mettre en joue justement. Et tout ça avec un humour corrosif, s’il vous plaît. Incroyable mais vrai. Si la formule est tape à l’œil, elle n’en est pas moins pourvoyeuse de sens. Oui, la réalité nous en met souvent plein la vue et ne lésine pas sur les scénarios improbables et rocambolesques. Oui, la réalité est trompeuse et cache parfois bien son jeu. Mais il est un écosystème en particulier qui cristallise ces problématiques et fonctionne en équilibre sur le vrai et le faux, une fabrique imparable, parfaitement rôdée et huilée, qui construit de toute pièce du faux vrai, du réel en boîte, c’est la télé-réalité. Nouveau thème dont s’empare la metteuse en scène et son équipe et sujet qu’elle connaît de près puisque pendant plusieurs années elle a occupé ce fameux poste de dérushage à la chaîne dont il est question entre autres dans le spectacle.
Au plateau, pour mener le bal de situations toutes plus extravagantes les unes que les autres, dans une escalade qui donne sa dynamique au spectacle, trois comédien.nes époustouflant.es (Manika Auxire, Louise Guillaume et Alix Kuentz), se donnent la réplique avec gourmandise, prompt.es à changer de rôle et de tenue avec un sens du caméléonisme fascinant. A eux trois, ils s’emparent avec entrain de tous les protagonistes de ce récit à plusieurs entrées qui se fomente dans les coulisses d’une émission de télé-réalité. C’est mon dada met en scène et en compétition des enfants pratiquant le hobby horsing. Ou comment monter à cheval sans cheval. Un jeu d’enfant en somme, faire semblant.
On ne vous dévoilera pas une miette de ce qui se trame, le plaisir en serait amoindri mais il est question d’exploitation outrancière du personnel, de souffrance au travail, de revendications sociales, de fatigue et de colère, de tentatives de sabotage, d’une enfant disparue, du sadisme du système, de la perversité des comportements, de la puérilité des adultes, du fric et des paillettes liées au show business. Le tout n’est pas dénué de suspense, au contraire. Ni d’humour, c’est le moins qu’on puisse dire. Plus on avance en besogne, plus le fil se tend, l’effroi nous gagne autant que l’hilarité et cet entre-deux est rondement arbitré. Le spectacle reprend à son compte les ingrédients des mass médias, notamment le sensationnalisme propre au genre, ses codes indécrottables, la surenchère émotionnelle, dans un comique de répétition qui fonctionne du tonnerre. Bienvenue dans un monde où la hiérarchisation broie les rapports humains, où la tyrannie s’exerce en toute licence, où règnent la concurrence et la course à l’audimat. Où les enfants ne sont que les rouages et les faire valoir d’une machine de guerre.
En alternant le récit qui s’offre avec ses ficelles comme un fil électrique dénudé avec des projections de texte en adresse directe au public, Johanne Débat perturbe l’adhésion à l’illusion théâtrale, la tient à distance et invite à l’interroger. En dévoilant la mise en fiction du réel telle que pratiquée par la télé-réalité (via son processus d’interviews qui vient muscler l’action et un montage qui taille et recompose à l’envie), elle réussit la gageure de semer le trouble dans nos cerveaux quant à la véracité de ce que nous voyons, tout en nous… divertissant d’un spectacle diablement rythmé et drôle à souhait. Jusqu’où croirons-nous à cet imbroglio qui révèle les dessous d’un système ordurier ? Sur quoi s’appuie la crédibilité d’une histoire ? On ne nous donnera pas le mode d’emploi de nos croyances mais en attendant, les dessous d’une industrie auront été mis en pièces.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Incroyable mais vrai
MISE EN SCÈNE : Johanne Débat
DRAMATURGIE : Romain Nicolas & Johanne Débat
JEU : Manika Auxire, Louise Guillaume, Alix Kuentz
SCÉNOGRAPHIE, COSTUMES : Clément Vriet assisté d’Amélie Monnier
LUMIÈRE : Paul Argis
VIDÉO : Boris Carré
CRÉATION SONORE , RÉGIE GÉNÉRALE : Julien Picard
SPÉCIALISTE HOBBY HORSING : Anna Chirescu
ADMINISTRATION : Norma Jullien
Coproductions : Théâtre de Corbeil-Essonnes, Théâtre André Malraux-Chevilly-Larue, CCJV-Champigny-s/Marne
Soutiens : Région IDF, Département du 94, Les Théâtrales Charles Dullin, La Chartreuse – CNES, L’Étoile du Nord, Le Collectif 12, Les Tréteaux de France-CDN. Avec la participation artistique du JTN.Durée : 1h10
Du 22 au 26 février 2023
Au Théâtre de la Reine Blanche, ParisTournée 23-24 en construction :
29 septembre 2023 : Théâtre El Duende, Ivry-sur-Seine
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