Éprise d’une ardente liberté, l’actrice iranienne exilée à Paris se raconte seule en scène dans le subtil et incandescent I’m deranged présenté à l’Athénée.
« I’m deranged ce sont mes rêves, mes cauchemars, mes désirs et mes passions achevées et inachevées : c’est mon exil », écrit Mina Kavani dans sa note d’intention. Dans une extrême simplicité formelle, dans l’exiguïté d’un minuscule plateau plongé dans une obscurité ténue, sans autres éléments de décor qu’une chaise et deux grands miroirs dans lesquels sa silhouette sombre se réfléchit, se démultiplie, c’est bien cela, et plus encore, qui prend corps et vie. L’actrice iranienne convoque les mondes entre lesquels elle chemine en corps et en pensées. Celle qui est née et a grandi à Téhéran, sous le régime de la République islamique, puis qui a fui la dictature pour se rendre à Paris, la ville dont elle a toujours rêvée, dit finalement ne plus savoir à qui ni à quoi elle appartient. Toute jeune enfant, elle se voit imposer le port du voile et d’un strict uniforme à l’école, alors qu’en famille, elle profite d’une éducation permissive et émancipatrice gorgée d’art, de conversations, d’ouverture à l’autre et au monde. Dans sa maison où défilaient les artistes et les intellectuels, comme dans un milieu underground dont le mode de vie et de pensée est occidentalisé, elle s’épanouit, rencontre des amis, fait la fête, boit et fume, repousse les limites, refuse les interdits. Une forme de « schizophrénie », reconnait-elle. Le sentiment d’une déchirure est le centre même de son propos poignant.
Le spectacle qu’elle a écrit, mis en scène et qu’elle interprète se place exactement à ce point de jonction entre deux territoires, deux univers. Il chemine entre les espaces, l’ici et l’ailleurs, entre le réel et le fantasme, entre une réalité insatisfaisante et le moyen de conjurer le sort. Son enjeu : gagner sa liberté, pleinement s’émanciper. Le moyen de le réaliser : devenir comédienne et échapper à la censure. Elle y parvient. Mina Kavani joue au théâtre, dans Forteresses de Gurshad Shaheman, un compatriote, auteur et performeur iranien ; joue au cinéma, face à la caméra du cinéaste iranien Jafar Panahi, dont le film Aucun ours a reçu le prix spécial du Jury à la Mostra de Venise en 2022. Auparavant, la jeune comédienne tourne Red Rose de Sepideh Farsi où elle apparaît à l’écran parfois déshabillée. C’est à ce moment précis qu’elle est condamnée à ne plus pouvoir retourner en Iran. À Paris, elle demeure une éternelle étrangère, certes désinhibée, mais éperdument seule et envahie de nostalgie.
Soutenu par la composition musicale vaporeuse de Siavash Amini et enveloppé par les belles lumières de Marco Giusti, le récit de Mina Kavani rejoue la vie et conjure l’interdit. C’est en mots et en pensées que la comédienne retourne sur ses pas. Comme dans un rêve, elle retrouve Téhéran, la vie d’avant, ses parents. Elle partage sur scène un monde intérieur particulièrement riche et bouillonnant. Précise, subtile, lumineuse, pleine d’une sensibilité à la fois retenue, et si vive et vibrante, elle oscille entre une merveilleuse douceur et une énergie plus combative. Animée par la passion, elle embarque dans un tourbillon d’émotions.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
I’m deranged
de et avec Mina Kavani
Composition musicale Siavash Amini
Scénographie Clémence Kazémi
Création lumière Marco Giusti
Artiste sonore-son Cinna Peyghamy
Régie générale et régie lumière Laurent Etourneau
Collaborateur artistique Maksym TeterukProduction déléguée Prémisses
Production Grosse Théâtre
Coproduction Le Manège – Maubeuge scène nationale ; TU-Nantes, Scène jeune création
Aides à la résidence Montévideo-Marseille ; Le Manège – Maubeuge scène nationale ; TU-Nantes.
Avec le soutien du Conseil Régional des Pays de la LoireDurée : 1h
Vu en octobre 2023 à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris
Athénée Théâtre Louis-Jouvet
du 22 au 25 janvier 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !