Créé pour le Ballet du Grand Théâtre de Genève, Ihsane de Sidi Larbi Cherkaoui se regarde comme les pages d’un beau livre d’images animées sur lesquelles s’écrit une quête identitaire qui reste à la surface des choses.
À travers la profusion des chatoyants tableaux collectifs juxtaposés qui se déploient sur la scène du Théâtre du Châtelet, Ihsane, signé du célèbre et prolifique chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, a tous les attraits d’un beau conte oriental. La façade, qui figure celle d’une école coranique où se donne une leçon de langue arabe en guise de prologue, puis celle d’un palais avec sa haute porte ornée d’arabesques, lui sert de décor luisant sous des lumières solaires ou plus tamisées. Ses murs blancs se séparent et s’éparpillent aux quatre coins du plateau pour devenir des surfaces de projections ou de simples panneaux sur lesquels s’écrivent à la peinture des phrases calligraphiées. Le sol se recouvre de tapis aux couleurs rougeoyantes et aux motifs chamarrés. Des paires de babouches jaunes sont alignées à la rampe. De nombreux accessoires et de somptueux costumes renvoient au nomadisme des populations berbères. Le monde arabo-musulman prend ainsi vie sur scène de manière fortement ritualisée. Cérémonie du thé et sacrifice du mouton sont autant d’éléments convoqués pour célébrer la beauté de sa culture et de ses traditions. Une juste et louable intention qui a tendance à se réaliser au moyen d’un surplus d’images d’Épinal, dont la littéralité s’avère un peu trop appuyée.
Sur un large podium, un petit orchestre est placé sous la direction du compositeur tunisien et joueur de viole d’amour Jasser Haj Youssef, qui accompagne la chanteuse libanaise Fadia Tomb El-Hage et le chanteur marocain Mohammed El Arabi-Serghini. Devant, plus de vingt interprètes issus du Ballet du Grand Théâtre de Genève et quelques invités de la compagnie Eastman forment une troupe qui fait la part belle à la jeunesse et à la diversité culturelle. Elle donne corps et relief à des fresques de format imposant, au style décoratif et illustratif. Les grands ensembles dominent et prolifèrent. Ils sont d’une facture qui flatte l’œil et laissent place à de menus solos ou duos plus intimistes. La danse se fait étale, mais gracieuse, lascive, d’une joliesse certaine, quoiqu’un peu lisse et sans trop de fulgurances.
Mais, puisque le titre de la pièce désigne en arabe la gentillesse, accordons-lui la bienveillance qu’elle réclame, et ce, pour plusieurs raisons : parce qu’elle s’offre comme une invitation au voyage qui stimule les sens comme les imaginaires ; parce que le geste du chorégraphe, toujours empreint d’humanisme et de fraternité, ne cesse de chercher à nous déplacer, à nous ouvrir et à nous réunir ; enfin, parce que la pièce répond à une quête personnelle de l’artiste qui, après avoir rendu hommage à sa mère flamande dans son précédent ballet, Vlaemsch (chez moi), repart sur le chemin de ses origines, avec une suite dédiée cette fois à son père, qui a quitté le Maroc pour devenir travailleur immigré en Belgique, où il meurt en 1995.
Le nom que prend la pièce est aussi celui que portait Ihsane Jarfi, un jeune homme homosexuel d’origine marocaine, battu à mort à la sortie d’une boîte de nuit, à Liège, en 2012. Ce crime odieux – dont Milo Rau s’était emparé dans La Reprise – Histoire(s) du théâtre (I) – est relaté avec autant d’émotion que d’indignation au cours du spectacle. D’une manière poétisée, la mort teinte aussi la revisite du célèbre Boléro de Ravel que Cherkaoui et son complice Damien Jalet orchestrent comme un étourdissant tourbillon dans les limbes. La pièce ainsi que deux travaux d’Aszure Barton et de Sharon Eyal constitueront le second programme présenté par la compagnie suisse au Théâtre du Châtelet.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Ihsane
Chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui
Textes Jason Silva, Timothy Winter
Avec les interprètes du Ballet du Grand Théâtre de Genève et de la compagnie Eastman, les chanteurs Fadia Tomb El-Hage, Mohammed El Arabi-Serghini, et les musiciens Jasser Haj Youssef (viole d’amour), Gaël Cadoux (piano Rhodes), Yasamin Shahhosseini (Oud), Gabriele Miracle Bragantini (percussions)
Scénographie Amine Amharech
Lumières Fabiana Piccioli
Musique Jasser Haj Youssef
Costumes Amine Bendriouich
Vidéo Maxime Guislain
Chant Fadia Tomb El-Hage, Mohammed El Arabi-Serghini
Dramaturge El Arbi El-Harti
Sound design Alexandre Dai Castaing
Directeur des répétitions Manuel Renard
Assistants à la chorégraphie Pascal Marty, Patrick Williams Seebacher (TwoFace)Production Ballet du Grand Théâtre de Genève
Coproduction Eastman, Théâtre du Châtelet, Théâtres de la Ville de Luxembourg, Tanz Köln, Festspielhaus St Polten, Internationaal Theater Amsterdam, Central National des Arts Ottawa
Avec le soutien de la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia
Avec le soutien de DANCE REFLECTIONS by Van Cleef & ArpelsDurée : 1h35
Théâtre du Châtelet, Paris
du 30 mars au 6 avril 2025Théâtre Maisonneuve, Montréal (Canada), dans le cadre du festival Danse Danse
du 1er au 4 octobre
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