Hugo Roux met en scène Les enfants d’après eux d’après le roman de Nicolas Mathieu
Après Le Mal de la Jeunesse et Fruits du Néant de Ferdinand Bruckner, L’Éveil du Printemps de Frank Wedekind, Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth, La Révolte de Villiers de l’Isle-Adam, c’est la première fois que je me tourne vers une œuvre à la fois romanesque et contemporaine. Dès la première lecture de Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, des images théâtrales très concrètes m’ont traversé. J’ai été saisi et profondément intrigué par deux aspects de l’œuvre : le premier, c’est la profonde sensibilité qui émane du texte, une sensibilité tout à fait singulière, une description quasi-clinique des sentiments qui traversent la jeunesse bien sûr, mais également les aînés. Ces brasiers d’émotions que l’on cherche à étouffer ou qui dévorent tout à l’intérieur des jeunes êtres que nous sommes ou fûmes. Et sous-jacente, en filigrane, se dessine une critique sociale et politique plus universelle qui reste belle parce qu’elle ne prend jamais le dessus sur la vie des personnages et qu’eux-mêmes ne sont que peu conscients de ces enjeux, de ce qui les fait agir, de ce qui les fait être ce qu’ils sont.
Le second aspect qui m’a touché, c’est le travail sur le langage et sur notre oralité. En lisant ce roman, on entend une voix en nous qui nous le raconte. Nicolas Mathieu semble avoir construit une langue, la nôtre, qui nous touche d’autant plus directement qu’elle semble quotidienne sans l’être véritablement.
Ces deux dimensions de l’œuvre m’ont irrémédiablement poussé à vouloir travailler cette matière, la questionner, la disséquer presque, à la manière dont l’auteur dissèque la vie intérieure de ses personnages.
Dans Leurs enfants après eux, les comédiens prennent en charge les personnages et la narration. L’adaptation du roman les fait osciller entre l’incarnation et la prise de parole directe au public. Nicolas Mathieu indique que c’est bien dans les passages narratifs qu’il parvient à développer « l’hybridation » du langage, cette tentative de mêler la langue littéraire et travaillée à une oralité quotidienne. Comment le plateau et les acteurs peuvent donc se faire les relais de cette recherche ? Pour ce faire, plusieurs moyens, d’abord, le plus simple, un comédien qui n’est pas impliqué dans la scène prend en charge à la troisième personne la narration. Ou alors, un comédien, lui-même impliqué dans un personnage, fait une pause dans son incarnation pour nous livrer une pensée qui traverse son rôle. D’autres fois, la narration est adaptée en dialogue et les scènes se teintent de la profondeur de la langue de Mathieu évoquée plus haut.
L’enjeu pour nous, qui venons d’une école du texte et des acteurs, c’est de les placer au cœur du dispositif scénique. Ce sont eux qui, par leur corps, se feront les relais de la puissance qui circule dans cette œuvre. Ils incarneront une foule de figures différentes, certaines seront centrales et d’autres ne feront que passer. Le rôle des costumes et notre capacité à transformer les acteurs seront donc essentiels. Nous souhaitons par ce biais situer l’œuvre dans son époque et souligner le passage du temps. Nous verrons évoluer Antho- ny, Hacine, Stéphanie, Clémence, d’année en année, grâce à des perruques, du maquillage et une recherche poussée sur les attitudes physiques de chaque âge. D’autres figures comme le patron du café l’Usine, les amis, certains adultes, ne seront qu’esquissés par un accessoire, un symbole. Cependant, l’aspect cinématographique évident du roman ne doit pas nous contraindre à ne proposer qu’une succession d’images, mais, en nous concentrant sur la direction des acteurs, construire des codes de jeu nouveaux qui nous per- mettront de relever ce défi.
Leurs enfants après eux, c’est une tranche de vie pleine de sève. Ce roman est constitué de l’enchâssement d’une multitude de parcours de vie, de personnages qui traversent l’œuvre puis qui disparaissent ou qu’on retrouve des années plus tard. Retranscrire théâtralement ce concentré de vie, cette humanité qui agit autant qu’elle est agie par un système social et économique me semble aujourd’hui être le rôle le plus essentiel de nos pratiques.
Note d’intention d’Hugo Roux
LEURS ENFANTS APRÈS EUX © Actes Sud
D’après Nicolas Mathieu
Adaptation et Mise en scène Hugo Roux
Scénographie Juliette Desproges
Costumes Alex Costantino
Lumières Hugo Fleurance
Son Camille Vitté
Avec
Tristan Cottin, Soufian Khalil, Jeanne Masson, Adil Mekki, Lauriane Mitchell, Eva Ramos et Edouard SulpiceCoproductions : Auditorium Seynod -Scène Régionale, Théâtre d’Aurillac – Scène Conventionnée, Maison des Arts du Léman – Scène Conventionnée, Château Rouge – Scène Conventionnée
Soutiens : Ville d’Annecy, Département de Haute-Savoie, Région Auvergne – Rhône-Alpes, DRAC Auvergne – Rhône-Alpes, ENSATT, Jeune Théâtre National, Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon, avec la participation artistique du Stu- dio d’Asnières-ESCA, La Factory – fabrique d’art vivant, Théâtre les Allos Cluses
Cie en résidence à la Maison des Arts du Léman – Scène Conventionnée.Tournée 2021/2022
23 novembre – 20H30 – Maison des Arts du Léman (74)
25 novembre – 20H30 – Théâtre d’Aurillac (15)
26 novembre – 09H30 – Théâtre d’Aurillac (15)
2 décembre – 20H30 – L’Auditorium Seynod (74)
3 décembre – 20H30 – L’Auditorium Seynod (74)
6 janvier – 20H – Théâtre des Collines (74)
Excellent spectacle. Narration extraordinaire. Bravo