Avec XIX Escape Game XXI, sa dernière création, Hortense Belhôte pousse encore plus loin son concept de conférence-performance en s’entourant d’une fine équipe. Et si elle revisite avec toujours autant d’à propos l’Histoire de l’Art, elle monte de dix crans sur l’échelle du délire. Jouissif.
XIX Escape Game XXI est le fruit d’une résidence d’Hortense Belhôte au Musée d’Orsay, où il fut créé sous la forme déambulatoire de visites performées. De l’ancienne gare transformée en musée dédié à la période en sandwich entre 1848 et 1914, et notamment à l’énorme morceau qu’est le mouvement impressionniste, XIX Escape Game XXI tire son inspiration, ses références picturales et son curseur temporel. Ovni aussi détonnant que celle qui en est l’instigatrice, à mi-chemin entre la conférence d’Histoire de l’Art – genre affectionné par notre hôte – et le jeu participatif – que le titre induit –, mais ni l’une ni l’autre en réalité, cette œuvre hybride et inédite implique le public dès son installation dans les lieux. Accueilli par une équipe de « men in black », agents doubles tout droit sortis d’un James Bond, cheveux gominés, costume trois pièces taillé sur mesure, d’où rien ne dépasse, sauf le badge autour du cou qui en fait les gardiens d’un musée sous haute sécurité, le public de l’Espace 1789, où l’on découvre le spectacle, ne cache pas son excitation. Hortense Belhôte a l’art de faire monter la température. L’ambiance dans les gradins pleins à craquer est jeune – avec beaucoup de lycéens –, joviale, réactive. En bref, au taquet. Hortense Belhôte a ses fans et on comprend pourquoi, on en fait partie.
Performeuse hors pair, aussi à l’aise en ukulélé qu’en posture d’équilibre sur la tête, experte en Histoire de l’Art passée à la moulinette d’un féminisme qui fait changer de lunettes sur bien des œuvres des siècles passés, prompte à raconter sa vie en même temps, à glisser une blague de ci de là pour être sûre de ne jamais se prendre au sérieux, piochant dans la culture populaire et savante avec la même gourmandise, la plus trublionne des conférencières nous avait habitué à des prises de parole en solo, maniant la diapositive comme Lucky Luke le revolver. Le format ici est différent, il monte d’un cran, s’étoffe et l’ambition scénique s’élargit. Et si tout était déjà en germe dans les petites formes, l’humour et l’érudition, les valeurs et changements de focale, c’est un bonheur de voir s’agrandir la famille et la conférence vriller de bord pour se déployer dans toutes les dimensions du spectaculaire : costumes exubérants, mini chorégraphies, musique live, XIX Escape Game XXI est un son et lumière qui emprunte à la grammaire télévisuelle son ossature, tout en balançant un pavé dans la mare des conventions. Car si le public reste à sa place, la représentation, elle, se déplace, de la scène à la salle, interactive et participative, et nous déplace à sa façon, en décadrant le regard, pointant des détails, éclairant des contextes ou par des mises en situation qui font mouche. On apprend énormément et on s’amuse beaucoup. Franchement, que demander de plus ?
Le principe est simple, et si le déroulé a des airs de grand n’importe quoi, Hortense Belhôte, comme les chats, retombe toujours sur ses pattes. Nous mener en bateau fait partie du jeu et si le Titanic coule (en 1912), nous pas. Car nous voici pris en otage au Musée d’Orsay. Pris en otage dans le passé. Notre mission ? Nous échapper. Ou plutôt nous débarrasser de cet héritage raciste, misogyne et capitaliste qui court à travers des œuvres, certes esthétiquement superbes, mais éthiquement problématiques. On remonte donc le temps, non pas tranquillement, mais à cent à l’heure, de la mi-temps du XIXe siècle au début de la Première Guerre mondiale, passant en revue œuvres et évènements historiques affiliés. Chaque point d’étape est un jeu ; chaque jeu une référence télé : Intervilles, Pyramide, Koh Lanta, et j’en passe. Car Hortense Belhôte a le chic pour fédérer, rassembler autour de citations communes, télévisuelles, visuelles et musicales. Edward Burne-Jones côtoie les Destiny’s Child, Rosa Bonheur, le Red Star FC (Club de football de Saint-Ouen), Jacques Demy et Berthe Morisot… On passe du coq à l’âne par associations d’idées poilantes, dans une avalanche d’informations ponctuée de séquences mémorables, comme ce voyage en tapis volant ou ces méduses dansantes, ce chat en 3D ou cette apparition en homard. Mention spéciale à l’Agent Slimane (Slimane Majdi, excellent), hilarant bras droit de notre justicière en costard.
Jamais au bout du rire, jamais au bout de découvrir, le mélange entre divertissement pur et transmission érudite orale fait des étincelles, et réalise une utopie qui devrait porter ses fruits : apprendre en jouant. Mobiliser la part active des spectateur·ices et réduire la distance entre imaginaire collectif mainstream et culture dite savante ; générer l’adhésion spontanée du public tout en aiguisant son sens critique. Sacré challenge et défi réussi. Plus jamais on ne regardera les tableaux et sculptures d’Orsay de la même façon.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
XIX Escape Game XXI
Écriture et conception Hortense Belhôte
Avec Hortense Belhôte, Slimane Majdi, Anaïs Rosso, Ming jun Jiang, Abigaïl Fowler
Lumière et scénographie Abigaïl Fowler
Musique Anaïs Rosso
Costumes Jeanne Alamercery
Régie plateau Ming jun Jiang
Animations Theodora Fragiadakis
Tableau magique Chloé Desmoineaux
Vélo générateur Vincent LeclercProduction déléguée Fabrik Cassiopée
Coproduction Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie – Valéry Giscard d’EstaingDurée : 1h30
Espace 1789, Saint Ouen
les 13 et 14 février 2025
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