Les Sonnets de William Shakespeare sont fréquemment montés sur scène depuis (au moins !), la deuxième moitié du XXe siècle. Aussi faciles à lire que puissants dans l’amour qui en émane, ces poésies font l’objet d’une nouvelle création au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis cette semaine avec des jeunes comédiens amateurs âgés de 9 à 19 ans. Petit tour d’horizon de l’univers non-dramatique du plus célèbre des auteurs de théâtre…
L’œuvre poétique de Shakespeare est bien plus réduite que son œuvre théâtrale et, comme pour cette dernière, la paternité de certains textes est controversée. La Complainte d’un amoureux a, par exemple, été attribuée à l’anglais seulement par l’éditeur des Sonnets en 1609, probablement pour des raisons commerciales car l’analyse littéraire révèle que ce texte est difficilement attribuable à son illustre auteur. Même problème pour Le Pèlerin passionné, ce recueil est composé d’une vingtaine de poèmes dont seulement 5 sont de la main de Shakespeare. Au milieu de ces confusions, son œuvre poétique certaine se limite aux textes suivants : Les Sonnets, œuvre rédigée sur plusieurs années et publiée pour la première fois en 1609 ainsi que deux longs poèmes narratifs : Venus et Adonis et Le Viol de Lucrèce, écrits entre 1593 et 1594 alors que les théâtres de Londres sont fermés à cause d’une épidémie de peste.
Les Sonnets est celle des trois œuvres la plus célèbre aujourd’hui, notamment à cause de la dédicace (ajoutée par l’éditeur et non par l’auteur) à un certain Mr W.H., dont l’identité est encore soumise à question. L’ensemble représente 154 « sonnets » (trois quatrains suivis d’un distique). La fascination contemporaine semble venir de la destination des poèmes : souvent adressés à un homme, parfois à une femme et d’autres dont le genre du récipiendaire reste indéfini. Ce mélange casse l’image du poète comme inconditionnel amoureux qui ne peut s’adresser qu’à une femme. Shakespeare était-il attiré indistinctement par les hommes et les femmes ? C’est l’une des hypothèses qui découle de l’analyse de cette poésie, d’autres émettent la théorie que certains de ces textes ont pu être des commandes et ne reflètent donc pas les sentiments profonds de leur auteur (après tout, Shakespeare est capable de se placer dans la peau de l’un ou l’autre genre dans ses pièces !).
Ces questions ne doivent pas faire perdre de vue la richesse des sujets abordés et la finesse dont Shakespeare fait preuve pour parler des effets de l’âge, de l’angoisse de la mort, de l’absence, de la peine et la corruption des sentiments, de la peur de la séparation et bien sûr de la force de l’amour…
Selon certains auteurs, le fil conducteur de la poésie shakespearienne est le désir, cela s’illustre d’autant plus dans ces longs poèmes narratifs que sont Venus et Adonis et Le Viol de Lucrèce. Ces deux œuvres, confidentielles aujourd’hui, sont célèbres et régulièrement éditées à Londres entre la fin du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe. Les thèmes mythologiques sont employés pour mieux en faire ressortir l’érotisme. Venus et Adonis, d’inspiration ovidienne, fusionne les épisodes de Samalcis et Hermaphrodite et l’histoire de Venus et Adonis, le thème commun étant la frustration du désir : les amantes s’amourachent d’êtres qui ont bien d’autres préoccupations que l’amour. Dans Le Viol de Lucrèce (d’abord édité sous le nom plus sobre de Lucrèce), Shakespeare donne la parole à Tarquin (le violeur), qui détaille ses pulsions et Lucrèce, qui parle de sa résistance à cet acte injuste qui la conduira à se donner la mort : un thème particulièrement actuel qui n’a pas pour autant inspiré d’adaptation scénique ces dernières années.
Les Sonnets continuent à tenir le haut du palmarès des textes non-dramatiques de Shakespeare à être joués. En 2013, Norah Krief, Richard Brunel et Frédéric Fresson (photo) en proposaient une version rock & roll et particulièrement remarquée. En 2016, Louis Moaty s’y est attaqué de façon plus élégante. Cette semaine, au TGP, la nouvelle adaptation orchestrée par Julien Bellorini à la mise en scène et Thierry Thieû Niang à la chorégraphie où une trentaine d’enfants monteront sur scène (et plongeront dans une piscine) est une nouvelle aventure à ajouter à l’épopée que les vers shakespeariens connaissent à notre époque.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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