La Villette accueille cette semaine la création du Misanthrope ou la conquête du courage d’après Molière et autres textes. Une mise en scène d’un jeune créateur, Maxime Chazalet. Mais pourquoi la nouvelle génération s’attaque si souvent à cette pièce présentée pour la première fois en 1666 ?
Comme le souligne Jean Rohou, dans l’ouvrage Lectures du Misanthrope, la plupart des grandes œuvres traitent d’un important problème universel de la condition humaine. Le problème universel du Misanthrope est donc la sociabilité, le rapport entre l’affirmation de soi et l’adaptation aux autres, aux circonstances, aux normes et conventions du moment. Autrement dit, cette pièce porte à la scène « l’éternelle divergence entre idéalistes et réalistes ». D’autant que tous les caractères se retrouvent dans chacun des personnages, faisant de cette pièce, « la plus ambiguë de Molière », la contradiction est tellement là que Jacques Copeau parlait du texte comme d’une « tragédie qui fait rire ».
Toujours dans le livre, Lectures du Misanthrope, Brigitte Prost rappelle que c’est Antoine Vitez, en 1988, qui a « récusé le topos de la tradition faisant d’Alceste un homme d’âge mur », confiant pour la première fois le rôle à un jeune comédien. Depuis, de jeunes metteurs en scène à la tête de troupes aux airs juvéniles s’emparent du texte et continuent à mettre dans le rôle principal celui d’un homme qui n’a pas dépassé les quarante ans.
Quels sont alors les arguments contemporains qui conduisent à ce choix ?
Maxime Chazalet parle d’Alceste comme d’un personnage qui « ne supporte plus de vivre dans un monde d’apparence où les hommes frivoles ne sont guidés que par leurs intérêts personnels. Dans sa quête de vérité, il tente de rétablir des rapports sincères entre les êtres ». Louise Vignaud, qui a monté la pièce en 2018 au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, voit dans Le Misanthrope un « texte sur les apparences et l’hypocrisie » et pense qu’il est particulièrement juste pour « tenter de démasquer les jeux de complaisance et de pouvoir (…) entre les hommes de manière générale ». Lorsqu’Alexis Moati et Pierre Laneyrie mettent en scène Alceste(s) à La Criée de Marseille en 2016, ils posent la question, à travers le héros et ses facettes : « comment être au monde et fidèle à soi-même ? » Thibault Perrenoud qui a repris le texte à La Bastille en 2014 évoque ce personnage « affligé par l’hypocrisie et la frivolité de la société mondaine » revendiquant « un idéal d’honnêteté et de transparence des cœurs ».
À travers ces différents arguments, on imagine en filigrane la position de chaque artiste en proie à ses propres contradictions. Comment faire, lorsqu’on débute, pour se fondre dans un milieu qui ne vous attend pas tout en conservant sa singularité et sa distance face à ce qui n’est pas important ? Mettre en scène Le Misanthrope aujourd’hui n’est-ce pas soi-même s’affirmer comme tel dans toute ses contradictions ? Les réponses sont évidentes quand on prend de la distance par rapport aux personnages : Alceste veut vivre retiré de ce monde mais il est passionnément amoureux de celui-ci à travers sa plus vivante expression, à savoir Célimène. Peut-être qu’il n’existe pas de meilleure pièce que Le Misanthrope pour affirmer sa place dans le monde artistique, sans jamais être certain de ce qui nous attend après cet acte fondateur.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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