Cyril Teste a marqué les esprits avec sa précédente « performance filmique », Nobody, d’après Falk Richter notamment au Théâtre Monfort. Le metteur en scène pose pour la première fois ses valises aux Ateliers Berthier (Odéon) pour Festen d’après le film de Thomas Vinterberg. Il n’est pas le premier à s’attaquer au Prix du Jury 1998 du Festival de Cannes. Ce film appellerait-il naturellement au théâtre ?
Imaginé en 1996 dans sa cuisine, sorti en salle 1998 et déjà adapté sur scène l’année suivante à Dortmund, le destin de Festen est à l’image de ce qu’il montre : fulgurant. Lors d’une fête de famille, un fils révèle pendant son discours que son père le violait lui et sa sœur – qui s’est suicidée quelques mois plus tôt – étant enfant. Outre l’histoire très théâtrale, au sens où elle déploie un flot de sentiments brutaux sur un temps court dans un espace clos, peut-être que les règles imposées par le « Dogme95 » du nom du manifeste esthétique dont Vinterberg est l’un des fondateurs, conduisent ce matériau cinématographique à être porté naturellement vers la scène. Moins d’artifices, aucun effet spécial, une proximité intense avec les personnages… Un ensemble de vœux pieux qui nous rappellent par leur exigence et leur fermeté la mise en place au XVIIe siècle de la règle des « trois unités ».
La proximité entre le film et le théâtre est venue à l’esprit de Vinterberg durant le tournage. En 2002, au Guardian, il déclarait que « durant tout le tournage, il apparaissait évident qu’il fallait faire de Festen une pièce de théâtre ». Au magazine danois Film, l’actrice qui incarne Pia (Trine Dyrholm) racontait que l’équipe était, pendant le tournage, comme « une troupe de théâtre particulièrement soudée ». Une partie d’un ouvrage consacré au réalisateur danois, publié par Claire Thomson en 2013, analyse le transfert de l’œuvre du cinéaste à la scène et souligne que l’équipe originelle du film est largement impliquée lorsque des adaptations scéniques voient le jour. Les deux co-scénaristes de Festen et Bo Hr. Hansen ont eux-mêmes rédigé la première version pour la scène sur commande de la productrice Canadienne Marla Rubin qui en avait acquis les droits pour le théâtre à peine sortie du cinéma ! Plus encore, l’équipe en question assiste même aux représentations de la pièce dans lesquelles elle n’est pas directement impliquée. Ainsi, toujours auprès du Guardian, Mogens Rukov confiait, en 2002 (soit moins de 4 ans après la sortie du film !) qu’il avait vu 4 créations différentes de cette fête de famille. Thomas Vinterberg lui-même a appris à Daniel Benoin qu’il avait assisté à son adaptation (la première en français) au Théâtre du Rond-Point en 2003 où Jean-Pierre Cassel jouait le rôle du père.
Pendant l’écriture du film, Vinterberg et Rukov avaient en tête Le Parrain ainsi qu’Hamlet. La critique y a aussi vu un Œdipe. Des histoires grandioses, parfois mythiques qui inspirent les metteurs en scène qui s’y attaquent. A partir de Festen, apparaît brutalement sur le théâtre l’inavouable, l’impensable voire l’impossible.
Contrairement à la plupart des adaptations qui ont été montées jusqu’ici, en France, en Suisse, en Angleterre ou au Québec, Cyril Teste n’assied pas dans sa création le public autour de la table du banquet, mais il compte lui faire voir tous les interstices spatiaux et humains grâce à la caméra. Peut-être est-il en train de donner à la pièce une dimension cinématographique nouvelle ?
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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