Une héroïne en manque d’autrice

photo Lucille Corbeille

La metteure en scène Périne Faivre propose un spectacle de rue sur la justice, invitant le public dans une salle d’audience en plein air. Trop long, le résultat manque de point de vue et déçoit.

Il doit faire au moins mille degrés ce mardi 14 juin sur le parvis de l’Église Sainte-Croix, qui jouxte le théâtre national de Bordeaux en Aquitaine. Il est 19 h 30. Le soleil décline lentement, trop lentement, derrière les maisons. Une femme brumise le public qui s’agglutine à l’entrée de l’espace de représentation d’Héroïne, la dernière pièce de Périne Faivre, un spectacle de rue donné dans le cadre du festival Chahuts (Arts de la parole). Devant nous, il y a des bancs en bois et des box vitrés, une barre en métal et quelques instruments de musiques. Tout autour, une dizaine de comédiens plongés dans leur texte arpentent cet espace qui deviendra, pendant un peu plus de quatre heures, une salle d’audience ; un tribunal à ciel ouvert.

Au cours de treize mois, Périne Faivre a suivi une avocate, plaidant pour le droit des étrangers et des familles. Elle s’est immergée dans le quotidien de celle qui deviendra son « héroïne », assistant aux entretiens avec ses clients puis à leurs audiences. Avec pour objectif d’en faire un spectacle. Son ambition est documentaire. L’autrice se veut fidèle au réel. Sur les pavés du parvis, la voilà qui s’impose en narratrice, un micro à la main, livrant ses premières impressions, contextualisant les enjeux politiques (son immersion se déroule avant le premier confinement, pendant la crise des gilets jaunes). Les comédiens entrent en scène. Tour à tour, ils seront avocats, juges, policiers, prévenus, croquistes, récidivistes, au fil de plusieurs dizaines de saynètes esquissées ; certaines réalistes, d’autres plus fantaisistes avec des moments chantés et dansés, notamment.

Le spectacle dure quatre heures, auquel s’ajoute une demi-heure d’entracte. Le public est invité à pénétrer et à sortir de la salle d’audience fictive, à sa guise. Et heureusement d’ailleurs, car le spectacle de Périne Faivre est beaucoup trop long. Le travail d’immersion est rigoureusement réalisé et les scènes sont correctement incarnées devant le public. Mais l’ensemble ne suffit à faire théâtre, hélas. Vu et revu mille fois à la télévision, dans des documentaires (à commencer par la 10^e chambre, instants d’audience de Raymond Depardon en 2004), mais aussi dans des films et des séries inondant les ondes et les plateformes, le dispositif est archiconnu ; on ne peut se contenter de sa simple restitution. Il manque ici un point de vue, pour créer de la singularité narrative et de l’empathie avec le public.

Peut-être aurait-il fallu davantage creuser le personnage de l’avocate ? Peut-être aurait-il fallu plus de folie sur ce plateau éphémère ? C’est dommage. Ce soir-là, à Bordeaux, les spectateurs étaient malgré tout réceptifs à la proposition de Périne Faivre, suivant les comédiens et leur metteure en scène jusqu’au cœur de la nuit. La façade magnifique de l’Église Sainte-Croix était illuminée. La température doucement retombait. Et la justice inlassablement était rendue, comme le miroir de notre société tentaculaire et imparfaite, à l’image du spectacle.

Igor Hansen-Love – Sceneweb.fr

Héroïne

Écriture et mise en scène Périne Faivre

Compositeur, Scénographe, Constructeur Renaud Grémillon

De et avec Kevin Adjovi-Boco, Antoine Amblard, Caroline Cano, Sophia Chebchoub, Périne Faivre, Renaud Grémillon, Florie Guerrero Abras, Daiana Migale ou Émilie Ouedraogo Spencer, Moreno, Maril Van Den Broek

Régisseuse générale Clarice Flocon-Cholet

Régisseur structure Christophe Nozeran

Régisseur son, constructeur Jule Vidal

Ingénieur structure Quentin Allard

Costumière Anaïs Clarté

Sound designer Yoann Coste

Experte sur l’écriture en lien avec le monde judiciaire Laure Dilly-Pillet

Assistante à la création Florie Guerrero Abras

Collaboratrice à l’écriture Caroline Cano

Collaborateur artistique Nicolas Fayol

Production : Compagnie Les Arts Oseurs

Durée : 4 h 30

Le Kiwi (Arto), Saison des Arts de la Rue, Ramonville
les 18 et 19 juin 2022

Pronomade(s) (CNAREP), Encausse-les-Thermes
les 2 et 3 juillet 2022

Festival Villeneuve en scène, Villeneuve-lez-Avignon
du 9 au 21 juillet 2022

Ax Animation, Spectacles des Grands Chemins, Ax-les-Thermes
les 29 et 30 juillet 2022

Le Parapluie (CNAREP), festival d’Aurillac (IN), Aurillac
du 17 au 19 août 2022

Le Moulin Fondu / Art’R (CNAREP), Paris
le 15 septembre 2022

Quelques P’Arts… (CNAREP), Temps Fort, Annonay
du 23 au 25 septembre 2022

Les Maynats, Pouzac
le 15 octobre 2022