Simon Abkarian poursuit son exploration des récits mythologiques. Après Ménélas Rebétiko Rhapsodie en 2012, il crée Hélène après la chute au Théâtre de l’Athénée. Un spectacle qui résonne avec son travail théâtral.
En 2012, Simon Abkarian créait Ménélas Rebétiko Rhapsodie. Dans ce spectacle, le roi de Sparte blessé confiait ses sentiments sur l’enlèvement de sa femme Hélène par le jeune prince Pâris, fils de Priam, roi de Troie. Si Hélène après la chute, en proposant cette fois le dialogue des retrouvailles entre les anciens époux Hélène et Ménélas une fois Pâris assassiné, se donne comme la suite de Ménélas Rebétiko Rhapsodie, ce spectacle résonne plus largement avec le travail théâtral de Simon Abkarian.
Depuis ses premiers spectacles signés en tant qu’auteur et metteur en scène, celui qui a débuté comme acteur au Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine aime à puiser dans les tragédies grecques, à travailler à partir de et avec elles. Cela, que ce soit par la mise en friction de ces récits avec des vies contemporaines (comme dans Le dernier Jour du jeûne), par la proposition de versions renouvelées de certaines tragédies (citons Électre des bas-fonds), ou, par la mise en récit d’épisodes pas encore contés (comme dans cette dernière création). Un travail qui s’attache également, à chaque fois, à (re)considérer les personnages féminins – démarche d’écriture essentielle lorsque l’on sait à quel point le répertoire classique majoritairement monté laisse bien peu de place aux protagonistes femmes.
Si Hélène après la chute se déploie dans les alentours de l’Iliade d’Homère et, donc, de l’affrontement lors de la guerre de Troie entre les Achéens venus de toute la Grèce et les Troyens, c’est une bataille intime à laquelle le public assiste. Cet affrontement opposant l’ancien couple à nouveau réuni se déroule dans la chambre princière d’Hélène et feu Pâris. Et c’est peu de dire à quel point la scénographie proposée épouse, voire, même, surpasse, les clichés d’une royauté fastueuse, sans aucune retenue ni sens de la mesure. Celle-ci offre une chambre au clinquant assumé, dominée par la couleur or moirée – qu’il s’agisse du massif canapé, des murs ou de la tenue d’Hélène (interprétée par Aurore Frémont) – occupé par un piano à jardin et le canapé à cour. Dans cet espace qui semble annoncer par son excès la décadence de ce qu’il représente, Ménélas (Brontis Jodorowsky) est d’abord seul avec la compositrice, pianiste et chanteuse Macha Gharibian. Cet homme blessé au flanc ainsi qu’au plus profond de son âme attend Hélène.
Dès l’arrivée de cette dernière et son entrée par les portes centrales miroitantes reflétant les lumières, la joute verbale va débuter. Ces deux-là qui se sont aimés il y a bien longtemps, vont s’affronter, se confronter. Elle, Hélène, ne cesse de l’interroger, chacune de ces questions (« Pourquoi m’as-tu fait venir ? », « Que veux-tu de moi ? », « Que vas-tu faire de moi ? ») disant autant le gouffre qui les sépare que le pouvoir de vie et de mort qu’il a sur elle. Lui, abattu mais debout, aussi tenace qu’elle, veut autant lui dire que lui faire comprendre sa rage et sa rancœur, rappeler son tempérament d’homme fondamentalement doux et conciliant. Elle, encore maîtresse dans sa demeure, lui signale sa position de sujet et non d’objet, revendique ses choix tout en déplorant le sexisme crasse qu’elle a subi. En énonçant chacun précisément et dans une langue balançant entre lyrisme et crudité ce qui les a séparés et les tient encore éloignés, en nommant les places à laquelle les a assignés la société et leur entourage, ils vont progressivement se libérer : de leurs incompréhensions mutuelles, de leur colère, de leurs souffrances nées de trop longues trahisons. Ce faisant, cette mise à nue va leur permettre de se retrouver et d’imaginer un futur commun.
Cette trajectoire de dessillement des regards, où les dissensus et le ressentiment cèdent la place à une prise de conscience des mécanismes d’oppression et de domination puis à la possibilité d’une concorde se déplient avec une fluidité impeccable. La plume de Simon Abkarian (auteur au talent de dialoguiste indéniable) fait son œuvre. Leur face à face s’incarne dans une langue luxuriante qui n’a jamais peur de l’excès de ses envolées et qui nous balade entre un lyrisme assumé et des traits d’esprit vifs et acérés. Soutenu par le travail musical de Macha Gharibian, dont les compositions et les chants viennent soutenir les différentes étapes de la rencontre et des retrouvailles, l’ensemble emporte. Aussi parce que le duo de comédiens offre une interprétation rigoureuse, tenue, à l’écoute des rythmes du texte comme des plus subtiles inflexions des sentiments.
Ce jeu sans emphase qui permet autant de faire résonner les échanges que d’éviter l’écueil de l’affectation, la comédienne Aurore Frémont y excelle. L’actrice (nommée comme révélation aux Molières 2020 et couronnée du prix de la révélation théâtrale par le Syndicat de la critique la même année pour son rôle dans Électre des bas-fonds) confirme ici toute l’amplitude de son jeu – cela alors que son costume semble plus entraver que faciliter ses mouvements. Alors en dépit de choix scénographiques et de costumes qui auraient pu par leur côté appuyé écraser l’interprétation et le propos du spectacle, et une ou deux saillies verbales trop excessives mises à part, Hélène après la chute permet à Simon Abkarian, aussi fin auteur que directeur d’acteur, de prolonger son pertinent travail théâtral de revisitation et de réflexion autour des rôles et positions des figures tragiques féminines.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Hélène après la chute
Ecriture et mise en scène
Simon AbkarianAvec
Aurore Frémont,
Brontis JodorowskyCréation musicale
Macha GharibianCollaboration artistique
Pierre ZiadéCréation lumière
Jean-Michel BauerConception décor
Noëlle Ginefri, Simon AbkarianRégie plateau
Philippe Jasko, Maral AbkarianChef constructeur
Philippe JaskoProduction La Compagnie des 5 Roues
Coproduction La Criée – Théâtre National de Marseille, Théâtre de Suresnes Jean Vilar, Théâtre de Gascogne Avec le soutien de la DRAC Île-de-France Accueil en résidence Théâtre de l’Epée de Bois, Théâtre du Soleil, Théâtre de l’Athénée Louis-JouvetDurée 1h25
Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet
du 7 au 25 novembre 2023Théâtre de Suresnes Jean Vilar – Suresnes (92)
15 décembre 2023La Criée – Théâtre National de Marseille
du 19 au 23 décembre 2023
Bonjour et merci pour ce petit article.
Juste pour vous signaler une petite coquille : les représentations à l’Athénée sont du 7 novembre au 25, non du 5 au 25.
À bientôt,
Brontis