Au Théâtre de la Tempête, la dramaturge et metteuse en scène tire à boulets rouges sur un quotidien devenu aliénant, et signe un spectacle où l’absurde le dispute à un humour grinçant.
La famille dépeinte par Nicole Genovese a un quotidien bien rodé, trop bien rodé pour ne pas être suspect. Chaque soir, invariablement, l’oncle Michel doit secouer la nappe, le fils se plaint du menu et réclame de se « faire un oeuf », la fille s’enquiert de sa tenue pour le patinage artistique, la mère s’agace de la manière effrontée dont ses rejetons s’expriment, et le père, qui se gargarise d’avoir pris « une bonne douche », ne manque jamais d’avoir été chercher le pain qu’il a, toujours, déposé sur le frigidaire. Réunie pour un dîner sans fin, la petite famille se passionne pour Des chiffres et des lettres qu’elle regarde sans moufter.
Avec, pour seules variantes, les contenus du programme télévisé et du menu, les vêtements des uns et des autres et la matière dans laquelle le fils a passé son interro de la journée, ce repas semble pouvoir se reproduire à l’infini avec, toujours, les mêmes phrases creuses, dites sur le même ton. Jusqu’au moment où la belle mécanique s’enraye. Sans crier gare, une adjointe à la culture de passage prend la parole et se lance dans une litanie de remerciements aux tutelles et partenaires qui ont permis à cette « manifestation » de voir le jour. Experte absolue de Plus belle la vie, la série de France 3 dont elle demande à passer quelques extraits, elle dépose, sans en avoir conscience, un grain de sable dans les rouages familiaux. Dès lors, tout part à vau-l’eau. Tandis que l’oncle Michel, devenu souffre-douleur de son frère, prend la tangente et se met à recouvrir les murs de toiles enfantines, les autres membres de la famille, tels des automates déréglés, s’échinent à reprendre le cours de leur quotidien, sans jamais y parvenir.
Garants de cette bulle de confort dans laquelle ils ont installé leur famille, les parents se transforment en tyrans. Sisyphes malgré eux, les deux enfants s’émancipent peu à peu, sous l’influence de l’oncle Michel et de l’adjointe à la culture, qui représentent, malgré leur bizarrerie, le vent d’air frais dont, on peut l’imaginer, ils avaient besoin. En poussant les feux de l’éternelle répétition jusqu’à l’absurde, Nicole Genovese décrit parfaitement l’aliénation d’un quotidien devenu mécanique, robotisé, où, au-delà du métro-boulot-dodo, les intérieurs ont été colonisés par une routine mortifère et sclérosante. Aussi foutraque que délirant, l’ensemble, un temps déstabilisant, se révèle d’une cohérence à toute épreuve, et surtout d’un humour grinçant, qui, grâce à son effet grossissant, a la puissance d’un cruel miroir.
Dans ce décor en carton pâte, symbole d’une existence fragile et, en même temps, fabriquée de toutes pièces, les comédiens sont d’une aisance bluffante. Aux prises avec seulement quelques gestes et quelques phrases qu’ils doivent, nonobstant certaines envolées, répéter en boucle, ils parviennent à soutenir la dramaturge et metteuse en scène, emportée par cette folie douce qui irriguait déjà l’un de ses précédents spectacles, Ciel ! Mon placard. Après avoir dynamité les codes du vaudeville, la voilà qui tire à boulets rouges sur la petitesse de la vie, réduite à un rouleau compresseur lobotimisant. De quoi en faire rire, et réfléchir, plus d’un.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
hélas
Texte Nicole Genovese
Mise en scène Claude Vanessa (alias Nicole Genovese)
Avec André Antébi, Sébastien Chassagne, Nicole Genovese, Nathalie Pagnac, Bruno Roubicek, Adrienne Winling
Coordination technique Ludovic Heime
Auxiliaire de vie Renaud Boutin
Dessins (sur scène) Bruno Roubicek
Lumières oui
Scénographie et costumes oui ouiProduction Claude Vanessa
Coproduction Le Carré-Colonnes – Scène cosmopolitaine de Saint-Médard-en-Jalles/Blanquefort, Euroculture en pays Gentiane
Avec le soutien du Théâtre de Vanves – Scène conventionnée pour la danse (résidence) au Théâtre de Vanves, de la Maison des Métallos, de La Loge, des Studios Virecourt, de la Drac Ile-de-France et de la SpedidamDurée : 1h40
La Tempête, Paris
du 10 janvier au 9 février 2020Théâtre de Pertuis
le 10 avrilLe Parvis, Scène nationale de Tarbes
le 15 avril
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