La 41e édition des « Francophonies – Des écritures à la scène » se déroule jusqu’au 5 octobre à Limoges. Il y a un an les relations diplomatiques étaient tendues entre la France, d’un côté, et le Mali, le Niger et le Burkina Faso, de l’autre. Le Quai d’Orsay avait demandé aux acteurs culturels de « suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération » avec ces pays. Dans quel contexte international se déroule cette édition, alors que les Francophonies s’inscrivent cette année dans le programme du Festival de la Francophonie – Refaire le Monde adossé au Sommet de la Francophonie ? Entretien avec son directeur, le metteur en scène Hassane Kassi Kouyaté.
Il y a un an, vous étiez sous le choc après avoir reçu une injonction du Quai d’Orsay de suspendre les relations avec les artistes du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Comment s’est déroulée la préparation du festival 2024 ?
Hassane Kassi Kouyaté : Ça a été pire que l’année dernière ! Pourtant, nous n’avons pas d’artistes issus des pays concernés, mais nous avons eu beaucoup de mal à faire venir des artistes de Côte d’Ivoire. Cela a été extrêmement compliqué. Pour les artistes d’Afrique centrale, c’est impossible de les faire venir en France. Notre travail est réellement compromis parce qu’on ne sait plus si nous sommes en mesure d’accueillir les artistes. On met en danger nos structures et nos projets.
La programmation montre pourtant la richesse et l’engagement des artistes africains…
On voit effectivement la vitalité de cette jeunesse africaine qui possède un esprit critique aiguisé et qui dit non à certaines pratiques : non à la dictature, non à la corruption, non aussi à la morosité. J’ai fait le pari de l’émergence en programmant beaucoup de jeunes artistes.
Comment se nourrit artistiquement cette nouvelle génération ?
Ces jeunes se nourrissent de beaucoup de choses. Moi, je suis un enfant des centres culturels français. À l’époque, il n’y en avait qu’un seul au Burkina. Je m’exprime maintenant en français. Aujourd’hui, les jeunes artistes créent avec des coproductions allemandes, suédoises, chinoises, russes, turques. La France doit changer son regard et être un peu plus modeste, moins nombriliste, pour se remettre sur le même pied d’égalité que les autres pays, pour que notre francophonie, cette richesse qui peut faire peur, soit un pilier pour le développement de nos sociétés. On ne peut revenir en arrière. La France est multiculturelle, la France est multiconfessionnelle, même si je prône la laïcité. La France est forte dans sa pluralité.
Ces artistes font-ils évoluer la langue française dans leurs spectacles ?
Qu’est-ce que la francophonie en général ? Pour moi, c’est un enfant qui naît avec au moins deux cultures. Quand tu as une culture du Winnipeg, une culture Bassa ou du Cameroun, tu l’adaptes à cette langue maternelle commune qu’est le français. Notre langue devient inventive et créative. Elle est encore plus poétique avec des imaginaires multiples. Ce n’est pas pour rien que l’on parle de la langue française et des langues de France. Les Français sont les premiers francophones qui s’ignorent. Le français ne peut pas vivre ou survivre sans les autres langues.
Est-ce que le français dans certains pays d’Afrique devient une langue de résistance par rapport au mandarin, par rapport au russe ?
Le français est devenu une première langue maternelle pour certains jeunes Africains. S’ils doivent parler le russe, il faut qu’ils l’apprennent, ça va être compliqué. Moi, si je dois parler le russe, il faut que je l’apprenne, ça va être compliqué. J’ai entendu le français en naissant autour de moi. C’est ma langue maternelle. La résistance ne peut marcher que par la vie, par la création, par la poésie, par l’art et la culture, par l’émotion. Je n’ai pas peur des autres langues. J’ai peur de la vision que les Français ont de la francophonie. J’ai surtout peur du sentiment de certains Français, du rejet de l’autre, de l’étranger. Le français doit être le ferment de nos vies.
Comment souhaitez-vous faire évoluer la francophonie au sein du festival les prochaines années ?
L’année prochaine, on va mettre le Moyen-Orient et le Maghreb face à quelques pays ultramarins. La Guyane, la Nouvelle-Calédonie et la Martinique face à la Tunisie, à la Palestine, à la Syrie, à l’Algérie et au Maroc. On va faire dialoguer les artistes et les langues avec le français comme fil conducteur.
Propos recueillis par Stéphane Capron – www.sceneweb.fr
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