La parole que contient ce texte est poétique à l’envers, parce qu’elle est brute, parce qu’elle racle, parce qu’elle est rayée. Répétitions, boucles, redites, motifs qui s’enchevêtrent et se répondent chaque fois
différemment, cauchemar et délice d’apprentissage pour l’acteur.
C’est une parole de contraste. En montant cette pièce, ma crainte était de noyer le spectateur pris en otage par la logorrhée de l’étranger, au point de le rendre incapable d’entendre et d’écouter
l’extraordinaire parole de Koltès. Il était fondamental pour moi que la situation et ses enjeux soient limpides et concrets. C’est pourquoi un hold up scénique fait la particularité de cette mise en scène rendant
effectivement audible le texte et générant une instabilité propice à cette folle nuit.
Le protagoniste est un de ces inconnus envahissants qui, de façon intempestive, nous tombent parfois sur le coin du nez au détour d’une rue. « L’Autre »! Le relou, le mendiant, l’étranger. Il ressemble à ceux qui se
multiplient sur les trottoirs de nos villes, parmi les rats, sans abri sous la neige et la pluie, arpentant le métro. Ces « autres » que nous laissons (sur)vivre ou périr à nos côtés, évitant leurs regards, retenant nos mains que nous
ne savons pas comment tendre, pris que nous sommes dans nos propres engrenages, révélateurs d’une civilisation malade d’hypocrisie.
Et alors qu’il parle, cet autre, qu’il se répète, qu’il nous envahit de sa parole débordante, c’est nous-mêmes que nous rencontrons, nous l’enfant vibrant au cœur brisé, révolté par l’incohérence du monde, par le mensonge
social, nous aspirant au partage, à la paix, à l’amour. Cet « autre », c’est nous avec ce que nous avons de plus enfoui. Puis fascinés nous découvrons dans ce reflet distordu un nous intègre, prêt à accepter les
conséquences radicales de nos convictions, à être ce fameux « changement que nous voulons voir dans le monde ».
Il s’agit d’accompagner le spectateur à travers le miroir dans une expérience sensible et troublante, celle du catalogage immédiat de la différence, de l’altérité radicale, pour ensuite le saisir par surprise de cette
chose universelle et intime : être en (-) vie.
Cécile Rist – metteuse en scène
La nuit juste avant les forêts
Texte Bernard-Marie Koltès
Mise en scène : Cécile Rist
Assistants : Gilles Comode et Mélanie Carrel-Colomb
Recherches musicales : Bastien d’Asnières
Collaboration aux lumières : Carole Van Bellegem
Conseiller au mouvement : Matthieu Gaudeau
Avec Guillaume ToboUne production de la compagnie BordCadre
avec le soutien de l’AF&C et de la SPEDIDAMDurée: 1h20
Au Théâtre La Boutonnière
25 rue Popincourt
75011 Paris
Métro : Voltaire
18 et 19 janvier 2021 à 19h
25, 26, 27 janvier à 20h
1er, 2, 3, 8 et 9 février à 19h
10, 15, 16, 17, 22, 23 et 24 février à 20 h
1er, 2, 3, 8, 9 et 10 mars à 20h
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