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Grief & Beauty : Milo Rau passe à côté de sa mort

Décevant, Les critiques, Paris, Théâtre
Michiel Devijver

Grief & Beauty photo Michiel Devijver

Dans Grief & Beauty, Milo Rau creuse un sujet qui traverse toutes ses pièces, la mort. La mort choisie, assistée : celle de Johanna, dont il donne à voir les derniers moments à travers de bouleversantes vidéos. Sans réussir à les faire entrer en résonnance avec le présent du plateau.

Il est des plateaux où l’on pourrait vivre plusieurs jours sans avoir besoin de mettre un pied dehors, ou qui du moins en donnent l’impression. Celui de Familie (2020), la précédente création de l’homme de théâtre et directeur du Théâtre de Gand (NTGent) depuis 2018 qu’est Milo Rau était exemplaire de ce type de scénographie : dans la maison grandeur presque nature reproduite sur scène, le couple de comédiens Ann Miller et Filip Peeters et leurs deux filles pouvaient vaquer à toutes les occupations que l’on imagine être celles d’une famille européenne « classique » de classe moyenne voire supérieure. Les parents pouvaient préparer un bon repas tandis que les enfants lisaient ou déprimaient dans leur chambre. Ils pouvaient regarder la télé, s’affaler dans un sofa…

Il aurait pu en être de même dans Grief & Beauty, que Milo Rau a créé en septembre dernier au NTGent. Mais l’usage que font les interprètes de cette pièce de l’espace intime qui leur est offert n’est en rien similaire à celui de Familie : plutôt que d’avoir l’air d’y habiter, ils paraissent y attendre une chose qui ne se produira jamais. Présenté comme le premier volet d’une Trilogie de la vie privée dont Grief & Beauty prend la suite, Familie appartient à un type de théâtre que pratique très régulièrement Milo Rau, avec une grande intelligence : la reconstitution. Les Miller et Peeters, dans cette pièce, ne jouent en effet pas seulement leur propre quotidien familial, mais aussi celui d’une autre famille qui en 2007 décidait de se suicider en ne laissant qu’une seule phrase, « On a trop déconné, pardon… ».

Grief & Beauty, lui, ne reconstitue rien. Au cœur du spectacle, les derniers moments de Johanna, qui décide de mettre un terme à sa vie par l’euthanasie, n’apparaissent que sur l’écran qui surplombe le décor ultra-réaliste d’intérieur rétro, type années 60-70. Les quatre interprètes de la pièce – des acteurs professionnels et d’autres qui ne le sont pas, comme dans toutes les pièces de Milo Rau – ne cherchent pas à rejouer cette disparition choisie : ils en font un point de départ pour évoquer leur propre rapport à la mort. Ils évoquent leurs disparus, disent leurs croyances, leurs peurs. Grief & Beauty est alors plus proche en termes de démarche de La Trilogie de l’Europe (2014-2016), où Milo Rau invitait des comédiens et d’autres personnes à témoigner personnellement de différents événements historiques et politiques fondateurs de l’Europe, que de Familie.

Nous reconnaissons bien le « théâtre du réel » que pratique sans relâche le metteur en scène. Sa finalité est toutefois plus obscure que dans ses pièces précédentes. Si en s’appropriant le suicide collectif de Familie, il était évident que Milo Rau dénonçait les dérives d’un modèle de société basé sur la consommation de masse, son individualisme, son approche du dernier jour de Johanna ne sert à priori aucune démonstration. Ce qui aurait pu être à son avantage, si un propos clair était développé à partir du départ volontaire de Johanna. Hélas, les récits du jeune comédien gantois Arne de Tremerie, de l’ex-présentatrice culinaire – et gardienne de chiens au NTGent pour Familie – Anne Deylgat, de la performeuse siera-léonaise Princess Isatu Hassan Bangura et de Gustaaf Smans devenu acteur au moment de sa retraite ont beau tous avoir en commun la mort, ils peinent à former un tout.

Entre deux vidéos montrant une Johanna rayonnante, assumant pleinement sa décision, les quatre interprètes racontent l’un après l’autre des morts qui les ont marqués, qui les constituent. Le plus souvent alité, entouré des autres comédiens de Grief & Beauty qui ont tous participé à l’écriture avec Milo Rau, Gustaaf Smans dit par exemple sa maladie. Il donne d’abord l’impression de faire un écho direct à l’histoire de Johanna, et de pouvoir donc offrir aux autres une base solide pour développer leurs propres récits. Cette attente est hélas rapidement déçue. Les décédés et les personnes en cours de disparition dont parle chacun autour du lit de Gustaaf Smans, sous l’écran où Johanna sourit de se soustraire bientôt au monde, n’ont rien à voir avec le choix de cette protagoniste qui n’est plus là pour témoigner de cet égarement.

L’un parle de sa mort prochaine, l’autre des personnages agonisants qu’il a incarnés au théâtre… Une seule, Princess Isatu Hassan Bangura, témoigne vraiment du processus de création. Ce qui, selon le Manifeste de Gand mis au point par Milo Rau au moment de son arrivée à la tête du NTGent, est une obligation : « Le théâtre n’est pas un produit, c’est un processus de production. La recherche, les castings, les répétitions et les débats connexes doivent être accessibles au public », dit le premier point de ce texte qui encadre le fonctionnement de son lieu dont il souhaite faire un « théâtre de ville du futur ». L’application de cette règle dans Grief & Beauty est hélas trop artificielle.

L’accompagnement de Johanna par les quatre comédiens aurait mérité d’être beaucoup plus développée, d’être placée au centre de la pièce. Celle-ci aurait ainsi eu des chances d’avoir le cœur et le rapport au réel qui lui manquent.  « Il faut que ça devienne vrai, que ça devienne réel. L’analyse seule ne suffit pas », dit Milo Rau du théâtre dans le passionnant essai Vers un réalisme global paru récemment chez L’Arche. Pour cette fois, c’est manqué.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

Grief & Beauty

Avec Arne de Tremerie, Anne Deyglat, Staf Smans, Princess Isatu Hassan Bangura

Mise en scène Milo Rau

Dramaturgie Carmen Hornbostel

Collaboration à la dramaturgie et coach Peter Synaeve

Caméra Moritz Von Dungern

Musique live Clémence Clarysse

Composition Elia Rediger

Décor Barbara Vandendriessche

Lumière Dennis Diels

Assistanat à la mise en scène Katelijne Laevens

Direction de production Greet Prové

Direction technique Oliver Houtekiet

Régie lumière Geert De Rodder

Régie générale Marijn Vlaeminck, Raf Willems

Technique vidéo Stijn Pauwels, Predrag Momcilovic

Technique lumière Bart Meeusen, Frederik Vanslembrouck

Assistanat à la mise en scène (stage) Julien Coene

Dramaturgie (stage) Ezra Koppejan

Production NTGent

Coproduction TANDEM Scène nationale, Künstlerhaus Mousonturm, Romaeuropa Festival

Photo © Michel Devijver

Durée : 1h35

La Colline
du 19 au 21 janvier et du 2 au 5 février 2023 au Grand Théâtre

du mercredi au samedi à 20h30 et dimanche à 15h30
spectacle en néerlandais surtitré en français et en anglais
présenté en alternance avec Familie, premier volet de la Trilogy of Private Life

 

12 octobre 2021/par Anaïs Heluin
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