Au Grand Théâtre de Provence à Aix avant une longue tournée internationale passant par Paris, le chorégraphe d’origine bangladaise invite une pléiade de danseurs et de musiciens classiques indiens à entreprendre un fervent retour aux racines et aux traditions dans une création de toute beauté.
Donnée en création mondiale à Aix-en-Provence avant de parcourir, entre autres, les villes de Singapour, Londres et New York, le nouveau spectacle d’Akram Khan, Gigenis, the generation of the Earth, puise son inspiration dans les récits et les danses traditionnels de l’Inde entre sacré et profane. Danseur et chorégraphe, Akram Khan est aussi un conteur. Passionné par les mythes qu’il explore comme des révélateurs universels de la condition humaine, il croit en la puissance initiatique des textes fondateurs. Dans Outwitting the Devil, il s’inspirait de l’épopée de Gilgamesh pour créer une sombre fable apocalyptique ; dans Gigenis, il revient au long poème épique du Mahābhārata qui l’accompagne depuis longtemps. Adolescent déjà, il en était l’interprète dans la mise en scène de Peter Brook. Le choix d’une danse à forte dimension narrative comme le Kathak – dont le nom est tiré des Kathakars, bardes itinérants ou conteurs d’histoires dans les temples hindous – permet à l’artiste de transposer à la scène un épisode au centre duquel se trouve une femme, vouée à la douleur et à la solitude – ce dont témoigne une pantomime initiale qui révèle avec beaucoup de véhémence toute la fragilité comme la solidité du personnage.
Dans un monde en guerre, elle a vu périr son mari, puis l’un de ses fils. La dramaturgie a recours à la démultiplication de cette imposante figure maternelle, représentée simultanément à plusieurs âges de sa vie. À la manière d’un split-screen, elle est, à la fois, incarnée par une jeune femme qui, face au public, tient dans ses bras ses deux grands fils, et par une vieille femme, de dos, dans la même position, mais les bras vides de leur absence. Les deux frères rivaux ont suivi leurs destins antithétiques, l’un animé d’un esprit pacifique, l’autre assoiffé de pouvoir et de violence, jusqu’à un dénouement tragique.
Accompagné par un chant qui se fait doux ou plus guttural, et par une musique intensément percussive, le récit dansé est aussi bousculé par des éléments déchaînés. Galvanisé par cet univers sonore riche et envoûtant, Gigenis d’Akram Khan fait briller son esthétique ancestrale, portée par d’illustres interprètes, toutes et tous remarquables de maîtrise et de vélocité, qui mettent à profit leurs cultures et techniques diverses (bharatanatyam, Kutiyattam). Leur gestuelle, qui peut parfois prendre une allure martiale, est superbe de finesse déliée, de panache éloquent. La délicate volubilité ondulante des mains et des poignets, caractéristique des danses traditionnelles indiennes, se laisse contempler, comme le majestueux travail effectué autour de l’ampleur et de la souplesse des bras. Les postures paraissent parfois statuaires, les silhouettes tournoient à l’occasion d’éblouissants solos, duos et ensembles. L’hyperexpressivité des visages habités fait parfois penser au jeu masqué.
Toute la pièce repose sur une forme assez dépouillée et rigoureusement ritualisée. Dans leur mouvement perpétuel, les corps et les esprits sont irrigués par des énergies différentes. Ils sont mus par le contact et l’élévation. Au début, apparaît un homme dont le corps implorant est attiré par la lumière et les mains surplombantes d’une femme qu’il dépose sur son crâne nu. Ensuite, un jeune couple dessine l’envol d’un oiseau qui témoigne de son profond désir d’évasion.
La pièce brasse des thèmes universels que sont l’amour, la guerre, la mort, l’ailleurs. Autant d’éléments qui donnent lieu à des tableaux d’une grande tonalité tragique. Avec l’art sensible et généreux qui caractérise l’ensemble de son œuvre spectaculairement métissée, Akram Khan fait du plateau un espace d’ouverture, de mémoire, de partage. Son ambitieuse et étonnante création se propose à la fois comme un voyage et comme une peinture humaine et harmonieuse de l’existence emplie de drames, mais aussi de lumière.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Gigenis, the generation of the Earth
Direction artistique Akram Khan
Avec Akram Khan, Sirikalyani Adkoli, Renjith Babu, Mavin Khoo, Mythili Prakash, Vijna Vasudevan (blessée lors des répétitions et ne pouvant assurer le rôle qu’elle a créé, elle est remplacée par Pallavi Anand pour les représentations aixoises)
Musiciens BC Manjunath (percussions Mridangam), Rajeev Kalamandalam (percussions Mizhavu), Hariraam Lam (violon), Nina Harries (contrebasse)
Voix Sohini Alam, Chitra Poormina Sathish, Rohith Jayaraman
Création lumières Zeynep Kepekli
Conception sonore Dave Price
Orchestration musicale Jyotsna Prakash
Costumes Peggy Housset
Direction des répétitions Nicky Henshall
Direction technique Michael Cunningham
Régie son Mark WebberProduction Productions Internationales Albert Sarfati
Présentation grâce au soutien d’Orsolina28 et de Muse Art Foundation
Coproduction Esplanade Theatres on the Bay Singapore, Sadler’s Wells London, The Joyce Theater New-York
Avec le soutien de son directeur exécutif et du fond pour la création Stephen et Cathy Weinroth
Co-réalisation Les Théâtres – Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence)Durée : 1h10
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
les 30 et 31 août 2024Théâtre des Champs-Elysées, Paris
du 11 au 14 janvier 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !