A 81 ans, l’infatigable mère de la danse contemporaine africaine continue de dispenser son enseignement aux nouvelles générations de danseurs et prépare un solo sur Joséphine Baker, qu’elle interprétera en septembre sur la scène du théâtre des Champs-Elysées à Paris.
« Marchez ! Prenez l’énergie de la terre », lance Germaine Acogny dans le studio à ciel ouvert de son école sur la côte sénégalaise à une trentaine de danseurs professionnels, les pieds dans le sable face à la brousse et l’océan. « Maman Germaine », comme l’appellent ses élèves, les invitent à communier avec la nature avant d’entamer une de ses masterclass qu’elle donne de plus en plus rarement. En cercle autour d’elle, les danseurs frappent le sable avec leurs pieds au rythme des percussions et du balafon, leurs corps se meuvent dans une danse joyeuse, presque euphorique.
« interprétation de la nature »
Nourrie de l’influence de sa grand-mère, une prêtresse yoruba qu’elle n’a pas connue, la danseuse s’est rendue célèbre pour avoir développé son propre style, la technique Acogny, qu’elle considère comme « une interprétation de la nature ».
« Le symbole de ma technique, c’est l’arbre, qui est bien enraciné et qui s’élève vers le ciel pour prendre des influences d’ailleurs », explique l’artiste.
Aujourd’hui, de nombreux danseurs professionnels du monde entier continuent à venir s’enrichir de son enseignement à l’École des Sables qu’elle a fondée à Toubab Dialaw, à une soixantaine de kilomètres au sud de Dakar.
Pour le professeur Wesley Ruzibiza, Germaine Acogny a su « redonner une fierté et aussi faire comprendre aux danseurs africains la richesse qu’il ya dans leur propre danse et qu’on n’a pas besoin tout le temps d’aller chercher ailleurs ».
Danseuse camerounaise et italienne de 35 ans basée à Paris, Nadia Gabrieli Kalati a trouvé à l’École des Sables « d’autres personnes qui (lui) ressemblent » et « l’ouverture de nouvelles possibilités ».
Comme d’autres professionnels d’Afrique ou de la diaspora, elle est lieu cette formation de trois mois : « Il ya des connaissances que j’ai acquises ici que je n’aurais pas pu suivre si je n’étais conservé qu’en France ».
« On fait un programme de formation pour la diaspora et pour les Noirs, pour leur donner la force et de croire en eux », souligne Germaine Acogny. Quand l’École des Sables ouvre en 1998, il n’y a qu’un chapiteau au milieu de la brousse, faisant face à l’océan Atlantique, raconte le mari de la danseuse et cofondateur des lieux, Helmut Vogt : « Les gens logeaient dans le village ».
Une école « à la mesure de l’Afrique »
Aujourd’hui, ce centre de formation « à la mesure de l’Afrique », comme elle s’en félicite, est devenu un véritable village avec ses deux studios de danse ouverts sur la nature, ses bungalows pour accueillir les danseurs venus du monde entier.
Mais les maisons ont pullulé autour de l’école ces dernières années et un gigantesque port en eau profonde est en construction à proximité des lieux. Optimiste, la danseuse veut croire que « l’énergie de l’école est toujours là ».
Née au Bénin en 1944, d’un père fonctionnaire colonial et d’une mère institutrice, Germaine Acogny arrive au Sénégal à l’âge de 5 ans.
« Je ne parle pas la même langue, donc je voulais m’exprimer avec le corps. Et quand on faisait des jeux d’enfants, je disais, on va danser comme les arbres », se souvient-elle.
Elle perfectionnera son apprentissage des danses traditionnelles africaines et des danses occidentales classiques et modernes jusqu’à Paris et New York.
Dans un art « dominé par les Blancs », la jeune femme fera face aux remarques racistes de certains professeurs : « On m’a dit que j’avais les pieds plats et des grosses fesses alors que j’étais mince comme Françoise Hardy ».
Son premier solo est inspiré du poème « Femme noire » du président sénégalais Léopold Sédar Senghor (1906-2001).
C’est grâce à lui qu’elle fera la rencontre du chorégraphe franco-suisse Maurice Béjart, qui lui demandera de diriger l’école Mudra-Afrique à Dakar de 1977 à 1982.
Depuis, Germaine Acogny a présenté ses solos sur les scènes du monde entier, chorégraphié de nombreux spectacles pour sa compagnie et elle s’est vu couronner en 2021 le prestigieux Lion d’or de la Danse à Venise.
En septembre prochain, elle interprètera une création en hommage à la danseuse, chanteuse et résistance Joséphine Baker, « une femme extraordinaire qui a consacrée sa vie à la générosité, à ce que le monde soit rassemblé ».
L’École des Sables accueillera en 2026 la Biennale de la Danse en Afrique, un événement majeur de la scène culturelle du continent. L’occasion, elle l’espère, que Dakar devienne quelque temps « le feu de la danse ».
Eléonore Sens © Agence France-Presse
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