Trois ans après la version de Stéphane Braunschweig, Oncle Vania est de retour au Théâtre National de l’Odéon dans une mise en scène de Galin Stoev, directeur du théâtre de la Cité à Toulouse. Une version portée par une nouvelle traduction du texte de Tchekhov qui ne trouve malheureusement pas dans sa mise en scène de projet suffisamment structurant.
La deuxième représentation est souvent maudite, dit-on dans le métier. Soir de deuxième hier pour l’Oncle Vania de Galin Stoev à l’Odéon, qui n’échappe malheureusement pas à la règle. Défaut de rythme, de lisibilité des intentions, artifices scéniques en quête de sens, cet Oncle Vania a fait un petit flop. Peu de moments ont fonctionné, beaucoup ont échoué, jusqu’au caquètement des poules venant troubler l’émotion des adieux de fin entre les personnages, rien ne s’est passé comme prévu.
Mais qu’avait donc prévu Galin Stoev ? Direction le dossier de presse qui évoque une dystopie. Verser dans l’atemporel également. Est-ce l’effet de la nouvelle traduction menée par Stoev et Virginie Ferrere, ou la prégnance d’un certain contexte social ? Le conflit de générations qui structure cette pièce, entre le grand et vieux scientifique au passé glorieux, Sérébriakov, et ses cadets qu’il écrase de sa morgue présomptueuse, distille des échos du combat actuel entre des boomers finissants et ceux qui voient s’allonger leur temps de travail et se réduire leurs perspectives d’avenir. Il faut dire que se superpose à cette situation l’évocation répétée d’un lien perdu avec la nature, comme avec autrui – ce sont les propos du médecin Atstrov – et nous voilà bien projetés dans un monde suspendu entre hier et demain, dans une vaste étendue spatio-temporelle couvrant siècles passés et à venir, que permet également d’installer une scénographie en matériaux recyclés d’Alban Ho Van, qui scinde la scène en deux parties séparée par une baie vitrée aux vantaux mobiles, que les personnages ouvrent et ferment sans qu’on en comprenne toujours la raison.
Sur scène, chacun joue sa partition. Un peu en solo. De vieillard goutteux à boomer qui se la pète, Andrzej Sewerynnopère un retournement qui rend son personnage de grand ponte odieux. En docteur amoureux de la nature mais incapable d’aimer les hommes – et les femmes – Cyril Gueï est convaincant mais passe la deuxième partie de la pièce chemise ouverte, poitrail découvert, sans que l’on comprenne non plus vraiment pourquoi. Parfois sèche, parfois touchante, Suliane Brahim joue une Elena, jeune épouse du vieux professeur attirée par le docteur, toujours un peu froide, distante. Tandis que Marie Razafindrakoto, dans sa générosité volontaire et fragile est particulièrement touchante en Sonia qui cherche à toujours poser un sourire au-dessus de ses larmes qui montent. Talentueuse mais bizarrement dirigée – pourquoi un bâton de parole pour ouvrir les premiers dialogues, pourquoi le recours ponctuel à un micro à pied ? – la troupe ne trouve que trop rarement son rythme.
C’est aussi la faute de Tchekhov. Tellement isolés, seuls, ses personnages font rarement groupe même s’ils sont toujours en communauté. Et Galin Stoev s’est coltiné sans tricher l’énoncé sans recours du malheur, des vies ratées des personnages d’Oncle Vania, cette histoire qui n’en est pas vraiment une, mais une succession de scènes, et ces relations humaines qui échouent toutes avant que de s’esquisser. Il a collé à la noirceur particulière de cet Oncle Vania, à ce malheur partagé par toutes et tous sauf ce satané professeur par qui tous les malheurs arrivent. Que penserons de nous ceux qui nous suivront dans cent ans demande souvent le docteur Astrov ? Il y a dans cette dystopie de Stoev la perspective d’une disparition collective. Stoev fait d’ailleurs partir les personnages qui quittent la maison de Sonia comme s’ils disparaissaient dans l’espace, pouf. Il ne reste plus rien, que l’air, l’absence, absolue, cet effacement brusque et sans lendemain qui nous guette chacun et qui nous effraie tous. Le piano enfin peut se mettre à jouer tout seul, sans intervention humaine. Tchekhov n’oppose à cette terreur ontologique, qui devient ici collective, que la capacité du travail, de l’action, des petites choses. Un cultive ton jardin voltairien effectivement précieux dans l’avenir planétaire qui se profile.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Oncle Vania d’Anton Tchekhov
Texte français
Virginie Ferrere et Galin Stoev
Mise en scène
Galin Stoev
Spectacle produit par le ThéâtredelaCité
Avec
Suliane Brahim – Sociétaire de la Comédie-Française,
Caroline Chaniolleau,
Sébastien Eveno – Comédien permanent associé au projet de direction de la Comédie – CDN de Reims,
Catherine Ferran – Sociétaire honoraire de la Comédie-Française,
Cyril Gueï,
Côme Paillard,
Marie Razafindrakoto
et Andrzej Seweryn – Sociétaire honoraire de la Comédie-Française
Dressage
Vincent Desprez
Scénographie
Alban Ho Van
Lumières
Elsa Revol
Son et musique
Joan Cambon
Costumes
Bjanka Adžić Ursulov
Réalisation du décor dans les Ateliers de construction du ThéâtredelaCité sous la direction de Michaël Labat
Assistanat à la mise en scène
Virginie FerrereProduction Théâtre de la Cité – CDN Toulouse Occitanie
Coproduction Comédie – CDN de ReimsDurée : 2h20
du 10 au 14 janvier 2023
ThéâtredelaCité – CDN Toulouse Occitani31 janvier — 26 février 2023
Odéon – Théâtre de l’Europ26 mai 2023
GRRRANIT Scène nationale – Belfort
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