Dans Un homme, Gaël Leveugle part d’une nouvelle de Charles Bukowski pour développer une riche et singulière poétique du déséquilibre. Une partition où corps, lumière, musique et texte participent tous d’une même chute qui est aussi une fête.
Dès qu’il apparaît dans un costume bleu nuit, qu’il s’avance vers le milieu du plateau et entame une danse étrange, toute désarticulée, Gaël Leveugle installe une atmosphère souterraine, onirique. Derrière lui, un homme mince et barbu comme on en trouve dans les westerns (Julien Defaye) et une jolie fille du style fatal (Charlotte Corman) font quelques lentes traversées, tandis que Pascal Battus installe sur une table un tas d’objets variés : des morceaux de ciment ou de polystyrène, des barquettes de fast food et d’autres choses plus mystérieuses, avec lesquelles il commence à produire des bruits au diapason du reste. À la fois disparates et entièrement cohérents. Bienvenue Au sud de nulle part, titre d’un recueil de Charles Bukowski publié en 1973. Dans Un homme précisément, ou plutôt dans l’univers que Gaël Leveugle a construit autour de cette courte nouvelle où amour, sexe et alcool ne font pas bon ménage.
La logique de Gaël Leveugle est celle des rêves. Il y procède par associations inattendues, volontiers surréalistes. Comme dans son étonnant Loretta Strong de Copi, où il jouait nu au milieu d’un complexe dispositif lumineux, le metteur en scène et comédien déploie un langage à rebours du naturalisme assez brut du texte dont il s’empare. Une sorte de chorégraphie où les mots, la lumière et la musique sont traités comme des gestes qui tentent de s’approcher, sans jamais l’illustrer, de l’histoire de Constance et de George. Une histoire somme toute assez banale : celle d’une femme qui vient de quitter un homme « qui ne sait pas donner du bonheur à une dame » et qui vient avec une bouteille de whisky trouver refuge chez un autre apparemment beaucoup plus doué en la matière.
Si Bukowski, et plus généralement les auteurs de la beat generation, font partie des nombreuses références que Gaël Leveugle brasse et modèle à sa singulière manière dans chaque création de sa compagnie Ultima Neca, son texte lui sert ici de « pré-texte ». C’est à partir de lui, dit-il dans le dossier de présentation de son spectacle, qu’il « commence à écrire son texte, assemblage d’éléments divers, compositions analogiques, figures variées qu’on appelle mise en scène ». Si, traduits par Gaël Leveugle lui-même, les mots de Charles Bukowski finissent par être tous prononcés dans Un homme, c’est donc comme moteurs de l’imaginaire et du corps des artistes, et non l’inverse. Ils sont livrés au compte-goutte, un peu plus longuement dans chacun des tableaux qui sont autant de petits rituels tragiques.
Dans leur exploration de la zone obscure du désir où s’engouffrent les deux protagonistes de Bukowski, les comédiens de Un homme affirment pourtant une saisissante force de vie. Et une belle foi dans le théâtre, dont ils exhibent tous les mécanismes en transformant à vue l’espace. En reconfigurant leur laboratoire, où l’histoire de Constance et George ne cesse de changer de visage, de signification. Le plateau a aussi sa vie propre. De petites ampoules se décrochent par exemple toutes seules, formant un drôle de ciel étoilé. Des panneaux argentés se déploient de leur propre chef – ou plutôt celui du régisseur général Frédéric Toussaint, qui signe avec Pierre Langlois la belle création lumière du spectacle – en référence sans doute à la Silver Factory, le studio mythique d’Andy Warhol. Un homme célèbre le déséquilibre avec une précision, une intelligence qui éblouit.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Un homme
Inspiré de Charles Bukowski
Écriture, traduction, mise en scène, scénographie Gaël Leveugle
Avec Charlotte Corman, Julien Defaye, Pascal Battus et Gaël Leveugle
Musique Pascal Battus
Diffusion Sonore Jean-Philippe Gross
Voix Off Nouche Jouglet Marcus
Création lumière Pierre Langlois et Frédéric Toussaint
Assistanat mise en scène : Louisa Cerclé
Remerciements Nordine Allal, Masaki Iwana, Thomas Coux dit Castille et Nicolas MazeProduction Compagnie Ultima Necat
Co-production Centre Culturel André Malraux – Scène nationale de Vandœuvre-lès-Nancy, Transversales – Scène conventionnée de Verdun ACB – Scène nationale de Bar-le-Duc, La Filature – Scène nationale de Mulhouse.
Soutiens Théâtre Ici&là, Mancieulles Collectif 12, Mantes-la-Jolie, le TGP, Scène conventionnée de Frouard Bataville, La fabrique autonome des acteurs
Rermerciements au Cirque Jules Vernes, pôle National cirque et arts de la rue, Amiens. Avec le soutien de la SPEDIDAM.Durée : 1h15
L’Echangeur à Bagnolet
du 9 au 13 janvier 2023
à 20h30
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !