Au Festival d’Avignon, le talentueux auteur et metteur en scène uruguayen Gabriel Calderón présente Història d’un senglar (o alguna cosa de Ricard), traduisible par « Histoire d’un sanglier (ou quelque chose de Richard) ». Créé en 2020, ce seul en scène d’après Richard III part du théâtre pour en observer diverses facettes et mécanismes.
Le théâtre aime à travailler la question du méta-théâtre. La mise en abyme par le théâtre dans le théâtre, le jeu dans le jeu ou des réflexions sur cet art en général permettant d’aborder d’autres enjeux. Durant ce 78e Festival d’Avignon, Hécube, pas Hécube, Avignon, une école ou encoreHistòria d’un senglar (o alguna cosa de Ricard) recourent à ces procédés. Pour ce dernier, le metteur en scène et auteur uruguayen – également collaborateur artistique de Tamara Cubas – Gabriel Calderón – dont le travail a été découvert en France en 2013 et auquel la revue Frictions a consacré un hors-série passionnant – se penche sur Richard III. À travers le récit d’un comédien répétant le rôle du cruel Richard dans la pièce de Shakespeare, Història d’un senglar occupe le lieu théâtre et s’appuie sur lui pour en scruter plusieurs espaces : artistique, de fabrication et de production, de pouvoir.
Cette « occupation », la scénographie la signale d’emblée et réunit des éléments constitutifs du décorum et de la machinerie théâtrales qui, ici déplacés, valent comme signes. Sur une petite estrade, est installé un fauteuil de salle (de théâtre) entouré de piles de livres. Ce siège, dont le vert fatigué et le velours élimé renvoient à un théâtre d’antan, constituera… le trône du roi. Quant aux poulies et guindes – terme désignant les cordes au théâtre –, elles deviendront des appuis de jeu pour illustrer la mécanique de la violence. Car il va y en avoir des machinations et autres mises à mort, autant dans la pièce de Shakespeare que dans les répétitions du spectacle. Pourtant, cela débute fort calmement, à tel point que pendant que nous, spectatrices et spectateurs, prenons place dans les gradins, de la musique classique est diffusée en sourdine – The Cold Song d’Henry Purcell nous faisant basculer dans la représentation –, quand un morceau du groupe chilien Chico Trujillo évoquant la solitude accompagnera la sortie de salle.
Le choix de cet environnement sonore déploie une atmosphère compassée, bourgeoise, autant que volontairement rassurante. Ambiance avec laquelle le monologue à venir va (volontairement, encore) trancher en ne respectant ni les conventions théâtrales traditionnelles – avec une rupture fréquente du quatrième mur –, ni les conventions (bourgeoises, toujours) de tempérance et de modération. Parce que c’est un drôle d’énergumène que ce comédien qui doit interpréter Richard III. Ce roi déjà déchu – l’intitulé de la pièce évacuant son titre – va jouer sa partition en remaniant l’originelle sans trahir l’essentiel de son parcours. Le sanglier, c’est lui, ou plutôt c’est l’animal que le comédien choisit pour réfléchir à la construction de son personnage. Relégué aux petits rôles depuis trop longtemps, cet acteur de seconde zone nous raconte alors le récit de la construction de ce spectacle – avec ses nombreux déboires. Un récit auquel s’entremêle avec intelligence un exposé chronologique des grandes lignes dramaturgiques de la pièce de Shakespeare, une analyse du personnage du roi qu’il va incarner comme des personnages féminins, et une réflexion sur l’art de l’acteur et l’art théâtral.
Sarcastique, caustique, provocateur jouissant de son pouvoir, misogyne et fier de l’être, déplorant l’égalité entre les sexes, cet acteur imbuvable insulte et malmène tout le monde : interprètes, techniciens, metteur en scène, productrices, public. Les seuls qui trouvent grâce à ses yeux semblent être les personnages de Shakespeare, le sien comme ceux des trois femmes qu’affronte le roi – la reine Marguerite, Lady Anne et la reine de Gloucester. Dans une articulation dramaturgique plutôt impeccable par sa maîtrise et sa finesse, le spectacle déplie une correspondance totale entre le comédien et son rôle. C’est par sa méchanceté et son abjection que l’acteur acquiert progressivement du pouvoir face au reste de l’équipe artistique. C’est également de cette façon qu’il nous séduit, nous public, avec son ton railleur et goguenard piquant au vif. Pour autant, il se révèle plus hâbleur et narquois que nihiliste, appelant de ses vœux un dialogue, une rencontre avec ne serait-ce qu’un.e seul.e spectateur.rice. Son discours est à entendre comme un portrait vitriolé du champ théâtral, lieu régi comme les autres par des rapports de pouvoir.
Il faut souligner la maîtrise du geste, l’écriture soignée et élaborée côté texte, côté dramaturgie, côté interprétation – Joan Carreras tenant parfaitement son rôle acerbe et féroce –, côté artifices scéniques également – la création lumière soutenant l’ensemble sans jamais le surligner. D’apparence formelle modeste, Història d’un senglar (o alguna cosa de Ricard) s’attache à embrasser une diversité d’enjeux : une vision du théâtre comme un lieu où tout relève de la traduction – la mise en scène, le jeu ; une réflexion sur l’art de l’acteur et sur le déplacement opéré entre le comédien et son personnage – car ce fameux acteur n’incarnera en se transformant que les trois personnages féminins, seuls adversaires valables ; une critique d’un champ professionnel traversé de violences ; un réquisitoire, enfin, pour un théâtre qui ne soit pas un espace de divertissement et de séduction bourgeois, mais le lieu d’une bataille contre la bêtise. Autant de questions fertiles et stimulantes, dont on regrette qu’elles ne soient pas creusées encore plus avant – comme l’on regrette que ce personnage de comédien ne soit pas plus vitupérant et critique. Comme si le texte et la mise en scène demeuraient paradoxalement un brin soumis au fait de séduire et de rassurer.
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Història d’un senglar (o alguna cosa de Ricard)
Texte et mise en scène Gabriel Calderón
Avec Joan Carreras
Traduction Joan Sellent
Traduction pour le surtitrage Laurent Gallardo (français), Ailish Holly, Eulàlia Morros (anglais)
Scénographie Laura Clos « Closca »
Lumière Ganecha Gil
Costumes Sergi Corbera
Assistanat à la mise en scène Olivia Basora
Conception personnage et assistanat costumes Núria Llunell
Régie générale Roser Puigdevall
Régie son Ramón Ciércoles
Direction technique Pere Capell
Équipe technique Àngel Puertas
Machinerie Lluís Nadal « Koko »Production Festival Temporada Alta 2020 (Gérone)
Coproduction Grec 2020 Festival de Barcelona
Avec le soutien de l’Institut Ramon Llull, Maison Antoine Vitez pour la 78e édition du Festival d’AvignonHistoire d’un sanglier (ou un peu de Richard) de Gabriel Calderón, traduit de l’espagnol (Uruguay) par Laurent Gallardo, avec le soutien de la Maison Antoine Vitez Centre international de la traduction théâtrale, est publié aux éditions Solitaires intempestifs en juin 2024.
Durée : 1h10
Festival d’Avignon 2024
Théâtre Benoît-XII
du 12 au 14, puis du 19 au 21 juillet, à 19h
Spectacle minable. Prompteur illisible donc pas de possibilité de comprendre le spectacle et les gens peu enthousiastes.