Dans Frères, le premier volet de son triptyque consacré à l’engagement et aux utopies, la Compagnie Les Maladroits reconstitue la Guerre d’Espagne dans un décor de cuisine. Avec du café, une bonne dose de sucre et autant d’invention, elle questionne les traces laissées par ce moment d’Histoire.
Pour les quatre acteurs-créateurs de la Compagnie Les Maladroits fondée en 2008 et basée à Nantes, écrire « pour et avec l’objet » est une entreprise métaphorique. C’est une manière de créer des correspondances entre des mots et des choses qu’on ne relie pas naturellement entre eux. Entre des récits et des matières qui n’ont aucun rapport dans l’imaginaire collectif, mais que Benjamin Ducasse, Valentin Pasgrimaud, Hugo Vercelletto et Arno Wögerbauer s’ingénient à rapprocher de manière à se créer le temps d’une représentation un langage commun et partageable par tous. Dans Frères (2016), qui ouvre un cycle de créations sur l’engagement, les utopies et l’héritage, le collectif a jeté son dévolu sur un couple de matières comestibles : le sucre et le café, qu’ils manipulent et déclinent de toutes les manières possibles pour reconstituer la guerre d’Espagne. Et pour interroger ce qu’il en reste dans la société française contemporaine.
Ludique autant que documentaire, l’univers des Maladroits, à qui Le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette – offre un focus pour son ouverture de saison, prend pied dans un univers réaliste. Dans un décor de cuisine rétro, que Valentin Pasgrimaud et Arno Wögerbaeur présentent comme étant celui de leurs grands-parents. Ou plutôt celui des personnages qui, devine-t-on sans que ce soit formulé, leur ressemblent à bien des égards. Soient deux frères, Camille (Arno Wögerbaeur) et Mathias (Valentin Pasgrimaud), qui en guise d’introduction nous annoncent qu’ils vont nous rejouer « le moment où ils ont eu l’idée de nous raconter l’histoire de leur grand-père ». Un combattant antifasciste, anarchiste, contraint à l’exil à la fin de la guerre d’Espagne, largement inspiré de l’aïeul d’Arno, sans que cela soit davantage mis en avant que la relation entre interprètes et protagonistes de l’histoire de famille qui se déploie bientôt parmi les meubles et ustensiles de cuisine.
Lorsque Camille propose un café à Mathias, alors plongé dans des archives familiales, et qu’il verse sur la table une montagne de sucre pour attirer son attention, c’est à la naissance de sa métaphore que la Compagnie Les Maladroits nous offre d’assister. Ou du moins à un récit proche de l’histoire d’origine, faite de choix mais aussi de beaucoup de hasards. Purement arbitraire, et présentée comme telle avec humour, une équation simple est mise en place : la tasse de café représentera la France, tandis que le sucre sera l’Espagne. Pour fouiller le passé, les deux frangins se plongent dans une sorte d’enfance paradoxale, où le jeu est mis au service d’un sujet très sérieux. Où deux matières simples sont utilisées pour raconter une période particulièrement bouleversée de l’Histoire. Dans Frères, la violence, les méandres d’hier et d’aujourd’hui s’invitent dans ce qu’il y a de plus quotidien.
D’abord liquide, bien à l’abri dans sa tasse-France, le café de Camille et Mathias apparaît ensuite sous des formes et dans des contenants divers. Toujours en combinaison avec le sucre qui, en poudre ou en morceaux, se fait aussi bien paysages que personnages. Nourri par des entretiens et par un important travail de recherches, Frères traverse ainsi trois ans d’Histoire – de 1936 jusqu’à la Retirada, ou exil des républicains espagnols après la guerre civile, en 1939 – sans qu’il y paraisse. Avec une invention constante dans la manipulation du couple sucre-café, qui permet aux Maladroits de garder une distance par rapport à leur sujet, et de développer un langage physique et visuel qui dépasse la portée pédagogique de la pièce. Malgré certains moments de jeu, d’incarnation, assez convenus, Frères parvient de cette façon à maintenir vif l’intérêt pour son enquête. Et à susciter le désir de découvrir le second volet du triptyque, Camarades, où le collectif questionne Mai 68 à base de craie. À suivre au Mouffetard, du 8 au 20 octobre 2019.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Frères
Interprétation et idée originale : Valentin Pasgrimaud et Arno Wögerbauer
Mise en scène : Cie les Maladroits et Éric de Sarria
Conception et écriture collective : Benjamin Ducasse,
Éric de Sarria, Valentin Pasgrimaud et Arno Wögerbauer
Assistant à la mise en scène : Benjamin Ducasse
Création sonore : Yann Antigny
Création lumières : Jessica Hemme
Régie lumières et son : Jessica Hemme et Azéline Cornut (en alternance)
Technique plateau : Angèle Besson
Production : Compagnie les Maladroits
Coproduction : TU-Nantes
Accueil en résidence :
TU-Nantes, Le Bouffou Théâtre à la Coque, La Nef
Manufacture d’utopies, La Fabrique Chantenay-
Bellevue
Aides : Région Pays-de-la-Loire, Conseil
départemental de Loire-Atlantique, Ville de NantesRemerciement : Théâtre de Cuisine © Damien
Bossis
Durée : 1h10Le Mouffetard, théâtre des arts de la Marionnette
Du 2 au 6 octobre 2019
Le Sémaphore, scène conventionnée – Port-de-Bouc (13)
Le 8 novembre 2019
Com com du Haut-Béarn – Oloron-Sainte-Marie (64)
Le 12 novembre 2019
Théâtre Jean Vilar – Montpellier (34)
Les 5 et 6 novembre 2019
Agglo. Boccage bressuirais, scènes de territoire – Bressuire (79)
Les 12 et 13 novembre 2019
Scènes de Pays dans les Mauges, scène conventionnée – Chemillé (49)Les 16 et 17 novembre 2019
Festival Graine de Mots – Bayeux (14)
Le 29 janvier 2020
Le Carreau, scène nationale – Forbach (57)
Le 4 février 2020
Théâtre du Cormier – Cormeilles-en-Parisis (95)
Le 3 mars 2020
Centre culturel Houdremont, scène conventionnée – La Courneuve (93)
Le 6 mars 2020
Com com du Pays de Craon – Craon (53)
Le 13 mars 2020
Com com du Pays Mayennais – Gorron (53)
Le 17 mars 2020
Théâtre des Marionnettes de Genève (Suisse)
Du 25 au 29 mars 2020
Théâtre du Bordeau – Saint-Genis-de-Pouilly (01)
Le 31 mars 2020
L’Estive, scène nationale + MIMA + Les Pierres de Gué
Le 27 mai 2020
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