Malgré la mise en scène inspirée du directeur du Théâtre de l’Aquarium, la pièce de Mariette Navarro, à la recherche d’une troisième voie entre extrémisme religieux et anticléricalisme primaire, est trop didactique, voire trop ingénue, pour élever ce brûlant débat.
2028. La France est devenue un vaste champ de bataille entre les extrémistes religieux et les laïcards forcenés. Qu’ils soient chrétiens, juifs, musulmans ou autres, les premiers, aux portes du pouvoir, cherchent à imposer leur vision de la société. L’avortement est remis en cause, certains spectacles sont censurés… Face à ce déferlement puritain, les seconds s’organisent, manifestent, mais leur contestation tourne à l’anticléricalisme primaire, dans ce qu’il peut avoir de plus virulent.
Au milieu, une citoyenne, symbole de cette frange de la population qui ne se reconnaît ni dans un camp, ni dans l’autre. Elle participe aux marches pour préserver sa liberté, mais n’adhère pas aux diatribes anti-religieuses proférées par les militants les plus radicaux. Perdue dans ses convictions, elle croise la route de trois femmes au look détonnant. Invitée dans leur repère, elle y découvre un trio de sorcières, fières de leur « hérésie » et prêtes à foudroyer les hauts-dignitaires religieux réunis en congrès. D’abord interpellée par leur discours, elle fait bientôt machine arrière, effrayée par leurs motivations, aussi vengeresses que violentes, liées à leur passage sur le bûcher il y a plusieurs siècles.
Prolongement dystopique des débats, et du malaise, actuellement en cours sur la question religieuse, le conte noir de Mariette Navarro est une sorte d’antichambre de « La Servante Écarlate » de Margaret Atwood, cette « ustopie » effrayante où, après avoir pris le pouvoir, une caste religieuse met en place une théocratie qui asservit les femmes. Sauf qu’il n’en a ni la finesse, ni la profondeur intellectuelle. A la recherche d’une troisième voie, médiane, celle du doute, de l’affranchissement des certitudes, de la tolérance intégrale, Mariette Navarro sombre dans un propos didactique, voire pédagogique, jusqu’à l’excès. Coincée entre ces sorcières militantes au Printemps Républicain et cette martyre aussi benoîte qu’une nonne d’Épinal, la citoyenne incarne une version caricaturale de la « bien-pensance ». Elle a un côté bécassine qui agace plus qu’il ne convainc et fait de la pièce de Mariette Navarro, intéressante dans son principe, un ensemble ingénu, qui apporte de fausses réponses simplistes à un vrai débat complexe.
De cette quête chaotique d’une nouvelle, et véritable, hérésie, François Rancillac se sort avec les honneurs. Pour son dernier spectacle en tant que directeur du Théâtre de l’Aquarium, le metteur en scène instille une dose de folie douce, endossée par Andréa El Azan, convaincante en martyre fantomatique, et Christine Guênon, Yvette Petit et Lymia Vitte, toutes trois savoureuses dans leurs plastrons aux atours saint-phalliens. Dans cette salle de classe désaffectée, symbole de l’obscurantisme qui s’abat sur la société, les tours de sorcellerie agissent comme des soupapes, capables d’égayer pendant quelques secondes cette marche à gros sabots intellectuels.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Les Hérétiques
texte de Mariette Navarro (commande d’écriture)
mise en scène François Rancillac
scénographie Raymond Sarti, costumes Sabine Siegwalt,
lumière Guillaume Tessonavec Andrea El Azan, Christine Guênon, Yvette Petit, Stéphanie Schwartzbrod, Lymia Vitte
production du Théâtre de l’Aquarium, coproduction Comédie de Béthune-CDN, Le Bateau-Feu /Scène nationale de Dunkerque, la Cie Théâtre sur paroles & Fontenay-en-Scène.
Durée : 1h55
Théâtre de l’Aquarium
du 14 novembre au 9 décembre 2018
du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h– du 5 au 8 février 2019 au Théâtre Dijon Bourgogne ;
– du 26 au 28 février à la Comédie de Béthune ;
– le 26 mars au Théâtre Jean Lurçat/SN d’Aubusson,
– le 16 avril à la Ferme de Bel Ebat à Guyancourt (Yvelines)
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