Au Théâtre 13, le comédien-caméléon est de retour pour conter sa Rencontre avec une illuminée et transforme les dizaines de personnages qu’il incarne en une belle bande de doux-dingues.
Rencontre avec une illuminée est de ces spectacles impromptus, de ces créations imprévues, qui, si tout s’était passé comme prévu, n’auraient peut-être jamais vu le jour. Il y a encore deux mois de cela, François de Brauer devait présenter son second spectacle au Théâtre 13. Tout était calé, le thème trouvé – la masculinité toxique –, tout comme le titre – Les Performants. Et puis, l’artiste a joué au chamboule-tout et préféré créer sa troisième pièce avant la deuxième. La faute au contexte, la faute à une rencontre, aussi, celle avec cette fameuse « illuminée » qui l’a sorti du brouillard fait de dépression et d’angoisse, de soucis personnels et de panne d’inspiration, dans lequel, semble-t-il, il était tombé. Cette « illuminée », c’est Stella, Estelle Meyer de son vrai nom, qui l’avait invité à participer à sa carte blanche donnée, en septembre 2021, aux Plateaux Sauvages. « J’ai improvisé et écrit en quinze jours une trentaine de minutes d’un spectacle inspiré de notre relation amicale et de nos rapports très différents, voire opposés, à la croyance, explique François de Brauer. Le désir de développer en une forme plus longue s’est imposé immédiatement, tenter de m’approprier pleinement le personnage de Stella (inspiré d’Estelle) et continuer à convoquer des souvenirs personnels liés à la religion catholique et au mysticisme. »
Pourtant, l’artiste n’est pas de ceux qui, naturellement, baigne dans la croyance, ésotérique ou non. D’emblée, le personnage de Simon – sorte de double scénique – tient d’ailleurs à s’afficher comme « non-croyant » au sein de sa famille de catholiques pratiquants. A sa tante Cathy, qui lui demande de lire un texte religieux pour les obsèques de son grand-père, il oppose un refus ferme et définitif ; à sa mère, sceptique sur sa « non-croyance », il raconte comment, adolescent, il s’est fait viré d’un camp scout après avoir déféqué sur une croix. Sauf que le jeune homme se fait bien vite rattraper par d’étranges manifestations. Tandis qu’il rend un dernier hommage à son grand-père dans sa chambre mortuaire, le voilà qui dialogue et danse avec lui – sur le Boléro de Ravel –, sous le regard amusé de Jésus qui, pour l’occasion, s’anime et devise sur sa croix. Une hallucination dans une hallucination qui n’est, en définitive, que le signe annonciateur de sa rencontre avec Stella, un jour, sur un banc, alors qu’il est en train, abandonné par tous, de faire un malaise. A part, la femme est de ces ésotériques, la main sur le cœur, qui, derrière leurs airs parfois un peu barrés, donnent une autre vision de la société, et des relations aux autres.
Comme il avait déjà su le faire dans son précédent spectacle, La loi des prodiges, François de Brauer incarne, à lui seul, l’ensemble de ces personnages. Du Christ qui se plaint d’une douleur aux cervicales au chef scout qui lui réclame son petit numéro sur « la martiniquaise », du grand-père mort-dansant à la tante Cathy un rien coincée, ils sont plusieurs dizaines à se succéder, à s’interpeller et, parfois, à dialoguer entre eux. Avec une chaise en bois, une chemise vintage et un demi-cercle de (fausses) bougies pour modestes accessoires, le comédien leur offre, à chacun, un gimmick vocal et une gestuelle unique qui les rend immédiatement identifiables. A la force de son jeu – et quelle force ! –, il ouvre alors tout un univers, le sien, mâtiné de fiction, tant et si bien qu’on en vient parfois à douter qu’il soit complètement seul en son for intérieur. D’autant que, au-delà de cette prouesse scénique, François de Brauer ne se ménage aucun temps mort textuel. Avec l’aide de Jean-Luc Gaget, il a su tricoter une partition dramaturgique fait de bonds et de rebonds d’une telle fluidité qu’elle ne donne jamais l’impression d’un spectacle à sketches. Surtout, le comédien maîtrise comme peu l’art de la rupture. Au fil de son écriture nerveuse, il ne cesse de surprendre son monde et trouve, souvent, la bonne saillie, la bonne réplique, le bon trait d’esprit, celui qui prend par surprise, telle une mini embardée, et fait jaillir le rire. Un brin moqueur, mais jamais cynique, gorgé de tendresse pour les personnages qu’il croque, il s’impose alors comme le roi fougueux d’une piste aux soubassements plus intimes qu’ils n’y paraissent.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Rencontre avec une illuminée
Ecriture, interprétation et mise en scène François de Brauer
Collaboration artistique Louis Arene
Collaboration à l’écriture Jean-Luc Gaget
Avec la chanson La Gitane d’Estelle Meyer
Lumières François MenouProduction Compagnie Martin Moreau
Coproduction Christophe Iriondo, Festival d’Anjou, L’Avant-Scène Cognac, Mairie de Bailly-Romainvilliers – La Ferme Corsange
Coproduction et accueil en résidence La Manufacture – CDN de Nancy-Lorraine
Soutiens et accueil en résidence le Théâtre 13, les Plateaux Sauvages, le Théâtre du Petit Saint-Martin, le Théâtre de la Tempête, le Jeune Théâtre National, Les SolsticesDurée : 1h20
Petit Saint-Martin
A partir du 3 mars 2022
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