Grand ReporTERRE#5 – Faut-il séparer l’homme de l’artiste ? d’Étienne Gaudillère et Giulia Foïs / Photo Marie Charbonnier
Des projets menés conjointement par des journalistes et des artistes autour d’un sujet d’actualité : c’est le concept des « Grands ReporTERRE » créé par le Théâtre du Point du Jour, à Lyon. Ils sont désormais au nombre de douze, d’où un focus et une tournée, en attendant que Tatiana Frolova ne rejoigne cette cohorte la saison prochaine. Récit de ces aventures plus amples qu’imaginées.
C’est l’histoire d’un projet théâtral né de l’envie de « confronter le temps court de la presse au temps plus long des artistes », comme Angélique Clairand et Éric Massé l’énonçaient à leur prise de poste en 2019. Déjà, ils intégraient à leurs piliers les « Grands ReporTERRE », comme les projets « nomades » ou les travaux tournés vers « l’ultra sensible », soit une attention particulière portée à l’inclusivité et à l’accueil, sur les plateaux comme dans le public, des porteurs et porteuses de handicaps. Les « Grands ReporTERRE » consistent alors, deux fois par saison, à faire travailler ensemble pendant une semaine un ou une journaliste, un ou une photojournaliste, un metteur ou une metteuse en scène et un ou une interprète autour d’un sujet d’actualité pour ensuite le donner en public un ou deux soirs. Parmi les thématiques abordées : l’auto-censure, l’auto-défense… Cinq ans plus tard, ils le disent en d’autres termes, équivalents : « Ces récits, tels des sismographes, mesurent la puissance des tremblements qui agitent notre monde […]Cette porosité avec la société civile était dans l’ADN de notre projet ».
Le premier « Grand ReporTERRE » (dit « GR1 ») naît en janvier 2020 dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes et s’attache logiquement à la désobéissance civile avec le metteur en scène Sébastien Valignat et le journaliste Christophe Bourseiller. Une dizaine d’interprètes sont sur scène pour deux dates. Il n’est pas alors question de dépasser cette temporalité. En 2020-2021, c’est le thème du cyberféminisme qui est abordé avec le Collectif Marthe et Claire Richard, puis celui des mouvements citoyens au Burkina Faso avec Aristide Tarnagda et Boureima Salouka. Mais c’est la saison suivante que se joue le « GR » qui va sortir cette expérience des murs du Théâtre du Point du Jour alors qu’il n’était pas prévu qu’elle s’exporte. D’abord avec le « GR4 », lourde entreprise en partenariat avec le festival Euro-scene à Leipzig, dont le nouveau directeur s’entiche du concept. Éric Massé travaille alors avec une journaliste allemande sur les énergies fossiles, mais la complexification générée par le bilinguisme – nécessité de créer des surtitres, etc. – et surtout le déclenchement de la guerre en Ukraine qui bouleverse, entre autres, la circulation de ces flux, et particulièrement du gaz russe, rendent vite le sujet obsolète. Ce « GR » sera joué sept fois seulement, mais l’équipe lyonnaise s’aperçoit que le concept peut sortir de ses murs.
C’est l’épisode suivant qui en fait la démonstration la plus massive. Créé en janvier 2022, le « GR5 » s’intitule Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?. Deux ans plus tôt, Roman Polanski a reçu un César pour son film J’accuse et Étienne Gaudillère est perplexe. Faut-il aller, ou non, voir ce film, se demande le metteur en scène, qui a déjà porté des faits d’actualité au théâtre avec Pale Blue Dot sur l’affaire Wikileaks. Pour ce « Grand ReporTERRE », il fait équipe avec Giulia Foïs, journaliste, alors, à France Inter, et va jouer 27 fois – et plus encore – en mode spectacle. La journaliste – retenue par d’autres impératifs – est remplacée par l’actrice Marion Aeschlimann dans une seconde version donnée 33 fois, dont 15 au Théâtre des Carmes dans le Festival Off d’Avignon en 2024. Comme c’est la règle pour partir en tournée, ce « GR » s’actualise. Si, à sa création, il se terminait sur l’affaire Nicolas Hulot, il a ensuite abordé celle concernant Gérard Depardieu. Désormais, il est complété par des chiffres et un vocabulaire de plus en précis au fil des procès et condamnations de ces figures publiques. Giulia Foïs a aussi rédigé un monologue final questionnant le danger que représentent les attitudes et discours réactionnaires des mouvements de droite et d’extrême droite visant à réduire les droits des femmes et à minimiser les plaintes pour VSS.
De la Françafrique aux questions agroalimentaires
Parmi les derniers-nés, celui, passionnant, sur la relation France-Afrique (le « GR9 » France dégage ! France-Afrique : la rupture ?) mené par Angélique Clairand et Coumba Kane, journaliste au service Afrique du Monde. Crée dans la foulée des images d’août 2023 où l’on voyait de jeunes nigériens, burkinabés et maliens rejeter et brûler des drapeaux français, et réagir ainsi aux propos d’Emmanuel Macron, premier Président à ne pas avoir vécu sous la colonisation, parlant d’« épidémie de coups d’État », il sera repris cette saison et actualisé avec le récent procès des financements libyens de la campagne présidentielle française de 2007 au terme duquel Nicolas Sarkozy a été condamné, en première instance, à de la prison ferme pour « association de malfaiteurs » – chanson de Carla Bruni et arrachage de bonnette de Mediapart compris. En à peine plus d’une heure, à la table, en février 2024, journaux entre les mains, les deux acteurs et les deux conceptrices retraçaient non seulement les faits des crises au Sénégal et au Niger, mais revenaient aussi sur les traces de la Françafrique, des conséquences de l’affaire Elf aux bijoux de Bokassa en passant par la présence du franc CFA dans 15 (!) pays et tant d’autres sujets. Ce condensé d’histoire était implacable. En mai dernier, le duo de la compagnie Courir à la catastrophe, Alice Vannier et Sacha Ribeiro, avait, de son côté, convié le reporter et réalisateur radio Antoine Chao, ex de Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet, pour une Radio Lapin très drôle sur l’histoire des luttes.
Des directrices de CDN se sont aussi prêtées à l’exercice, comme Aurélie Van Den Daele sur les questions agroalimentaires et d’exploitation des sols (« GR6 » La terre parle quand on creuse) en forme déambulatoire, Carole Thibaut (« GR7 » La Fabrique de la domination, avec Lorraine de Foucher, spécialiste des questions de violences faites aux femmes au Monde et prix Albert-Londres 2024) et Lucie Berelowitsch, directrice du CDN de Normandie Vire. Cette dernière s’est penchée en 2023 sur l’histoire des mobilisations collectives autour du racisme, des violences policières et des émeutes en France (« GR8 » Marches d’hier, révoltes d’aujourd’hui) avec l’activiste, journaliste et chercheuse Rokhaya Diallo. La directrice des Plateaux Sauvages, Laëtitia Guédon, en lice pour la direction du CDN de Toulouse Occitanie, s’est, quant à elle, associée à l’ancienne présentatrice du 20h de TF1, Claire Chazal, sur la question culinaire comme vecteur de transmission d’identité et de liberté (« GR10 » À la table du Tout-Monde).
Cette saison, sur la colline de Lyon qui prie, pas de nouveau « GrandREPORTERRE », puisque le mois de novembre est consacré à la reprise de nombreux épisodes au Point du Jour et dans d’autres salles de la métropole – aux Célestins de Lyon, à la Machinerie de Vénissieux, à la Renaissance d’Oullins –, mais un nouveau est déjà en préparation. L’autrice et metteuse en scène russe réfugiée en France Tatiana Frolova va prochainement travailler avec le journaliste animateur de radio ivoirien Soro Solo. Ils aborderont l’exil vers l’Hexagone. Ce nouvel opus, produit en collaboration avec les Francophonies de Limoges, sera créé dans le Limousin avant de venir à Lyon.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Grand ReporTERRE#11 – Radio Lapin, histoires de luttes
Sacha Ribeiro – Alice Vannier / Antoine ChaoCélestins, Théâtre de Lyon
les 3 et 4 novembre 2025Théâtre de la Cité Internationale, Paris
du 10 au 14 novembreGrand ReporTERRE#9 – France dégage ! France-Afrique : la rupture ?
Angélique Clairand / Coumba KaneThéâtre du Point du Jour, Lyon
du 4 au 6 novembreLa Machinerie – Théâtre de Vénissieux
le 14 novembreLa Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche
le 2 décembreGrand ReporTERRE#5 – Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?
Étienne Gaudillère / Giulia Foïs (le 13 nov) / Marion AeschlimannQuai des Arts, Rumilly
le 4 novembreL’heure Bleue, Saint-Martin-d’Hères
le 6 novembreThéâtre du Point du Jour, Lyon
le 13 novembreLa Ricamarie, Saint-Étienne
le 14 novembreScènes&Cinés, Istres
le 20 novembreUniversité Jean Monnet, Saint-Étienne
le 25 novembreLe Polaris, Corbas
le 28 novembreUniversité de Toulouse
le 10 décembreThéâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec
le 10 marsThéâtre du Vellein, Villefontaine
le 26 marsThéâtre Molière Sète, Scène nationale Archipel de Thau
le 6 maiGrand ReporTERRE#10 – À la table du Tout-Monde
Laëtitia Guédon / Claire ChazalLes Plateaux Sauvages, Paris
les 11 et 12 novembreGrand ReporTERRE#6 – La terre parle quand on creuse
Aurélie Van Den Daele / Morgan Large – Hélène ServelThéâtre de La Renaissance, Oullins
les 13 et 14 novembreGrand ReporTERRE#7 – La Fabrique de la domination
Carole Thibaut / Lorraine de FoucherThéâtre du Point du Jour, Lyon
les 15 et 16 novembre


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