Créé à la Péniche La Pop, cet incubateur artistique, lieu de résidences, de recherches et d’expérimentations en novembre 2019, cette pièce, à mi-chemin entre le spectacle musical et le théâtre, autour de l’émission musicale culte, Discorama, arrive au Rond-Point. Un moment de poésie remarquablement incarné.
L’entretien journalistique se prête merveilleusement à la mise en scène. Les similitudes se bousculent entre les deux exercices : l’interview, comme le théâtre, est une affaire de jeu et d’improvisation, de faux-semblants et de vérité, d’urgence et de trac, de prise de risques et de rapport aux spectateurs (ou aux lecteurs, aux téléspectateurs et aux auditeurs). Avec Une Télévision française, Thomas Quillardet en faisait l’illustration, dépeignant la privatisation de TF1 au fil d’une fresque rigoureusement documentée. Dans Variété, Sarah Le Picard renouvelle la démonstration, proposant une pièce plus intimiste avec un dispositif minimaliste et une distribution réduite à l’os (trois acteurs). La réussite est encore au rendez-vous.
La metteure en scène s’inspire d’une émission musicale consacrée à la variété et diffusée sur l’ORTF entre 1959 et 1975, Discorama. Tous les grands noms de la chanson française de l’époque se sont bousculés sur le plateau de la présentatrice Denise Glaser : Maxime Le Forestier, Barbara, Jacques Brel, Serge Gainsbourg… Discorama battu des records de longévité et de popularité, grâce, entre autres, au talent de son intervieweuse et à la faveur de son dispositif. À partir de 1963, Denise Glaser recevait ses invités en tête à tête et n’hésitait pas à jouer des silences après les réponses (à l’instar d’une psychanalyste) pour provoquer ce que l’on a désormais coutume d’appeler « des moments de télévision ». Et il y en eut.
Mais l’ambition documentaire de la pièce s’arrête-là. Pour mettre en valeur la présentatrice (qu’elle incarne au plateau) et montrer l’évolution des mœurs et des tendances musicales, Sarah Le Picard a choisi d’inventer deux personnages. L’un est pianiste et arrangeur, c’est le truculent Claude Léveiller (Florent Hubert), catholique pratiquant et compositeur de symphonies à ses heures perdues. L’autre est une chanteuse d’origine polonaise, découverte avec un titre aux accents yéyé à l’Eurovision, et transformée en une interprète aussi tourmentée que populaire (quelque part entre Barbara et Marie Lafôret) à l’orée des seventies, c’est la tonitruante Veronika May (Anne-Lise Heimburger). Au fil des émissions, Denise et Veronika deviendront complices, le succès aidant, puis, fatalement, se déphaseront avec leur époque.
De prime abord, on ne comprend pas bien où Sarah Le Picard veut en venir. En dépit de sa représentation rigoureuse, on ne saisit pas de discours sociologique très précis sur l’époque, la tension dramatique entre les trois personnages n’aboutit à rien de particulier. Et pourtant, le plaisir de spectateur s’impose et la pièce finit par devenir attachante. La réussite tient avant tout à la qualité de l’interprétation. Découverte au cinéma chez Elie Wajeman et Mia Hansen-Love, puis au théâtre sous la direction de Jeanne Candel et Alice Zeniter, Sarah Le Picard est une comédienne qui parvient à combiner la drôlerie et l’élégance, ce qui est loin d’être évident. Anne-Lise Heimburger, avec qui elle avait cosigné Le Voyage au théâtre de Vanves, impose sa folie réjouissante (lors des moments chantés en particulier) tout en inquiétant par sa détresse (à la fin du spectacle). Les deux actrices prennent un plaisir contagieux à incarner leurs rôles taillés sur mesure, jouant merveilleusement de la belle diction désuète de l’époque. Et Florent Hubert est particulièrement touchant dans la peau du compositeur solitaire aux éclairs de génie. Cette création à la poésie délicate est une jolie rêverie sur le journalisme musical d’antan. Nous en sortons un brin nostalgique.
Igor Hansen-Love – www.sceneweb.fr
Variété
Une création (inspirée par l’émission de télévision Discorama) de Sarah Le Picard
Avec Anne-Lise Heimburger, Florent Hubert et Sarah Le Picard Direction musicale Florent Hubert
Cheffe de chant Jeanne-Sarah Deledicq
Espace et scénographie Chantal de La Coste, Kelig Le Bars Costumes Pauline Kieffer
Lumières Kelig Le Bars
Régie générale Édith Biscaro
Collaborateur technique Adrien Bonnin
Stagiaire assistant à la mise en scène Samuel Dijoux
Durée : 1 h 15
Production La Pop, avec le soutien de La Vie Brève – Théâtre de l’Aquarium (résidence et accompagnement), de la MC93 et du Théâtre National de Strasbourg (prêt de costumes)
Théâtre du Rond-Point, Paris
du 9 au 27 mars 2022
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