Au Théâtre des Bouffes Parisiens, la comédienne s’empare du scénario de Marguerite Duras, subtilement adapté par Bertrand Marcos. Accompagnée par la voix off de Gérard Depardieu, elle sublime la langue durassienne, jusqu’à la rendre étincelante.
Fanny Ardant est une experte de la matière durassienne. Depuis plus de 20 ans, la comédienne s’attaque, de plus en plus régulièrement, aux textes de la grande Marguerite, de La Musica deuxième (1995) à L’Été 80 (2018), en passant par La Maladie de la mort (2006), Des journées entières dans les arbres (2014) et Le Navire Night (2017). A cet impressionnant tableau de chasse, manquait l’une des pièces-maîtresses de l’œuvre de l’autrice française, le scénario d’Hiroshima mon amour qu’elle avait confié, à la toute fin des années cinquante, au tout jeune Alain Resnais. Grâce à l’adaptation, sorte de précipité théâtral, qu’en livre Bertrand Marcos sur le plateau des Bouffes Parisiens, cet « oubli » est désormais réparé, de la plus sobre des manières.
Cintrée dans une élégante robe noire, Fanny Ardant apparaît telle qu’en elle-même, dans un corridor lumineux qui fend l’obscurité et la dissipe peu à peu. Accompagnée par la voix off de Gérard Depardieu, qui susurre certaines tirades de « lui », elle prend la suite d’Emmanuelle Riva et endosse le rôle d’« elle ». Au lieu d’incarner la trentenaire du long-métrage de Renais, venue à Hiroshima pour participer à un film sur la paix, la comédienne lui offre l’aura fantomatique des années. Torturée par l’oubli, obsédée par la mémoire, elle est étreinte par la nostalgie de ceux qui se souviennent, mais ne cherchent plus à vivre. Cette réminiscence a, sur elle, l’effet d’une bombe à fragmentation, d’un fusil à double détente. Elle la transporte au cœur de la ville nipponne où, dans la chaleur de l’été 1957, elle avait vécu une éphémère passion avec ce Japonais dont elle entend encore la voix, venue d’outre-tombe ; puis à Nevers où, quelques années plus tôt, en pleine guerre, elle avait entretenue une liaison avec un soldat allemand, qui lui avait valu « l’honneur du déshonneur ».
A la langue emphatique et incantatoire de Duras, à sa façon de dénicher la musicalité dans les répétitions, à sa manière d’associer les contraires pour faire émerger le beau, Fanny Ardant impose une solide prestance qui en renforce les fondations. De sa voix suave, reconnaissable entre mille, elle dompte le texte, avec une remarquable aisance, le rend limpide quand il peut paraître obscur, et ne se laisse jamais emporter par ce flot de mots et d’amour, qui pourrait écœurer à force de lyrisme. Laissée seule face à elle-même par la mise en scène on-ne-peut-plus dépouillée de Bertrand Marcos – qui se contente, à raison, des lumières habiles de Patrick Clitus – la comédienne monte très progressivement en puissance. A mesure que le passé l’empoigne, elle fait étinceler le soleil noir d’Hiroshima, drapée dans cette intense dignité qui fait la marque des divas.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Hiroshima mon amour
D’après le scénario écrit par Marguerite Duras pour le film d’Alain Resnais
Adaptation et mise en scène Bertrand Marcos
Avec Fanny Ardant, et la voix de Gérard Depardieu
Lumières Patrick Clitus
Production Les Visiteurs du soirDurée : 50 minutes
Du 25 Septembre au 04 Octobre 2019
Théâtre de l’Oeuvre
Du Mardi au Samedi à 19h, le Dimanche à 17h
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