Avec Face aux murs, la Compagnie Hors Surface, dirigée par Damien Droin, met le trampoline au service de nos interactions, transforme l’agrès en instrument de rencontre et réalise un spectacle qui dépasse la pure virtuosité pour nous embarquer dans un univers symbolique et onirique bouleversant. Portée par six acrobates d’exception, la chorégraphie aérienne toute en chutes et rebonds s’inscrit dans un décor mobile qui redimensionne à chaque fois les rapports. Captivant.
D’abord la musique, sombre, installe une ambiance de circonstance ; puis le rideau noir s’ouvre sur un homme planté en haut d’une tour. Il semble nous regarder, détailler la salle. Il paraît loin, isolé par son piédestal et le clair-obscur qui l’enveloppe. Et le voilà qui chute en arrière-plan. L’apparition se meut immédiatement en disparition. La présence, puis le néant. Glaçant. S’ensuit une scène en ombres chinoises dévoilant des silhouettes derrière des barreaux : une prison ? Le ton est donné, ténébreux. L’heure n’est pas à la rigolade. Puis la structure métallique scénographique se dévoile en tournant sur elle-même, et l’on entre dans le vif du sujet : la difficulté à communiquer, à entrer en contact avec l’autre, à faire communauté. Les scènes s’enchaînent autour de ce motif, l’attrapant à chaque fois sous un angle nouveau. D’une part, parce que l’espace lui-même se transforme, se remodèle au gré de la représentation ; d’autre part, parce qu’à chaque fois, c’est une combinaison nouvelle qui est envisagée, une autre façon de se chercher, de se toucher, d’être en interaction et en contact avec son partenaire. La diversité à l’œuvre dans ces approches est à la mesure de la virtuosité des interprètes, de la créativité chorégraphique, et de ce que permet cet agrès exceptionnellement spectaculaire qu’est le trampoline, ici revisité pour plus de souplesse et d’élasticité.
À la tête de la Compagnie Hors Surface implantée à Toulon, formé au CNAC, passionné de scénographie, Damien Droin a en effet inventé un nouvel agrès, l’Acronet, dérivé du trampoline. Son travail s’articule à la frontière du cirque et de la chorégraphie. Il aime inventer des espaces en mouvement et créer des mondes parallèles qui puisent à la source du réel. Des univers symboliques et fantasmatiques, miroirs de nos traversées intimes et collectives. Avec Face aux murs, il met en scène six interprètes dans un rapport frontal au public. Des corps urbains, en manteaux de ville ou capuche sur la tête, engoncés dans leur anonymat gris, immobiles. Présences mystérieuses et statufiées. Une jeune femme, joueuse et vive, vient les réveiller un à un, les animer, les bousculer, les manipuler à sa guise. Petit à petit, les deux trampolines deviennent terrains de jeu, de rencontres, de croisements, d’échanges entre eux. Chacun s’en donne à cœur joie. Le rebond est la marque de leur gestuelle, le trait d’union entre eux, le passage obligé de leurs déplacements. Il promet un mouvement perpétuel. Il promet l’élévation après la chute. Exploré dans tous ces possibles, cet agrès fascinant orchestre les corps girouette qui tombent de dos, à l’envers, à plat ou roulés en boule, sur la tête ou sur les fesses, de près ou de très haut, dans des figures toujours plus complexes et diversifiées qui provoquent l’apnée du public. Seuls, à deux ou à six dans des chassés-croisés ultra-serrés, les acrobates sautent et rebondissent comme s’ils avaient fait ça toute leur vie. À croire qu’ils pratiquaient déjà le trampoline dans le ventre de leur mère tant ils semblent évoluer dans leur milieu naturel.
Si l’espace se métamorphose sans cesse et vient remodéliser les rapports et l’utilisation du décor, la composition musicale de Matthieu Tomi évolue en parallèle et accompagne avec une superbe puissance rock les univers déployés au fur et à mesure, faisant de chaque séquence une expérience totale et enveloppante. Les effets de lumière et de fumée et le travail des contre-jours génèrent des images d’une beauté onirique et irréelle. Qu’ils jouent à cache-cache dans la brume ou rebondissent dans les nuages, qu’ils se reflètent en miroir à travers la volumineuse cloison ou se serrent dans les bras en un slow ludique et acrobatique, les interprètes brillent par leur aisance technique autant que par leur présence radieuse. Tous sont exceptionnels. Et le final époustouflant qui les réunit nous laisse en état d’hypnose. On croirait alors les voir marcher dans les airs. L’effet est saisissant. En explorant nos parts d’ombres et de repli, notre propension à dresser des murs entre nous, à passer à côté les uns des autres, Damien Droin n’omet pas notre capacité à les traverser, à nous tendre la main, à faire corps avec l’autre. À aller voir de l’autre côté ce double qui nous ressemble plus que l’on ne le croit. À danser, sauter et voltiger ensemble dans la joie de nos élans et de nos irréductibles attractions.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Face aux murs
Conception, mise en scène et scénographie Damien Droin
Avec Tristan Etienne, Maël Thierry, Hugo Couturier ou Damien Droin, Louise Aussibal, Aris Colangelo, Carl Rom Colthoff
Composition musicale Matthieu Tomi
Constructeur et régisseur plateau Kob
Création lumière et régie générale Aline Tyranowicz
Création vidéo Caillou
Création costumes Suan CzepczynskiCoproduction et/ou accueil en résidence Théâtres en Dracénie – Scène conventionnée d’intérêt national art & création-danse ; Pôle National Cirque Archaos ; Pôle National Cirque L’Agora ; Le Carré Sainte Maxime ; Théâtre le Vellein ; La Scala Provence et Paris ; Scène Nationale Les Salins ; Pôle National Cirque La Brèche, Pôle Arts de la Scène
Durée : 1h
La Scala Paris
du 6 au 30 mars 2025La Scala Provence, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
du 5 au 27 juillet
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