Fabien Gorgeart livre une adaptation peu convaincante du roman de Delphine de Vigan qui, malgré la performance délicate de Catherine Hiegel, reste à la surface des sujets qu’elle entend explorer.
Fabien Gorgeart allait-il nous refaire le coup de Stallone ? Ce seul en scène, porté avec force et brio par Clotilde Hesme, qui, après sa création en octobre 2019 au Théâtre Sorano, puis au Centquatre-Paris, a connu une tournée comme on n’en fait plus, longue de plusieurs saisons, quadrillant les quatre coins de la France et allant même au-delà, jusqu’en Amérique du Nord, à Princeton et Vancouver. Pour tenter de poursuivre sur cette brillante lancée, le metteur en scène a jeté son dévolu non plus sur une nouvelle, mais sur un roman, celui de Delphine de Vigan, Les Gratitudes, qu’il a décidé de librement adapter à la scène, sur proposition et avec la complicité de son autrice. Histoire de bétonner son projet, l’artiste a choisi, une nouvelle fois, de bien s’entourer, de faire appel au musicien-comédien Pascal Sangla, mais aussi à une actrice de renom, Catherine Hiegel, capable, à première vue, de porter avec aisance l’essentiel de ce texte sur ses épaules. Las, au sortir, malgré la performance délicate de la comédienne, il est peu de dire que ce sont les faiblesses bien plus que les forces de cette oeuvre qui affleurent, ses manquements, ses occasions manquées et sa façon d’effleurer les sujets sans véritablement les empoigner.
Au centre dans cette histoire à trois voix, mélange de dialogues et de monologues, s’impose Michka, une dame âgée, qui, seule chez elle, perd peu à peu l’usage de ces mots qu’en tant qu’ancienne parolière elle n’a cessé de manier au cours de sa vie. Victime d’aphasie, elle en prend désormais certains pour d’autres, en modifie les syllabes – « d’accord » devient « d’abord », « merci » se transforme en « merdi » – et en voit même quelques-uns, toujours plus nombreux, lui échapper. Terrifiée par ce mal dont elle a pleinement conscience, elle est placée en maison de retraite par sa petite fille d’adoption, Marie, sur laquelle, on le comprend bien vite, elle n’a eu de cesse de veiller. C’est là, enfermée entre ses quatre murs, qu’elle croise la route de Jérôme, un orthophoniste qui, au fil des mois, va l’accompagner avec des exercices qui ont trait au langage pour tenter d’endiguer, ou à tout le moins de ralentir, son irrémédiable fuite. Alors que Marie, aux prises avec une grossesse compliquée, est contrainte de s’éloigner de Michka pour raisons médicales, l’homme va progressivement nouer une relation plus personnelle avec cette patiente qui voudrait solder tous les comptes de son existence avec que la mort ne l’emporte.
Avec ce texte à la lisière du roman et du théâtre, mi-narré, mi-incarné, Delphine de Vigan et Fabien Gorgeart dans son sillage multiplient les portes d’entrée. Tout à trac, il est question de la fin de vie dans les Ehpad, de la lutte contre une maladie qui confisque jusqu’à l’identité, du désir de réparation avant la mort, de musicothérapie et même de psycho-généalogie au travers de ces traumatismes qui, de génération en génération, continuent à produire leurs effets et à provoquer des dégâts. Prometteuses sur le papier, l’ensemble de ces thématiques, une fois agglomérées, forment un patchwork qui, au plateau, manque de profondeur. De cette histoire de vie où nombre de questions s’entremêlent, des conséquences de l’abandon à l’Holocauste en passant par la maladie, ne ressortent que bien peu d’éléments intellectuellement palpables et théâtralement tangibles. À mesure qu’elle survole les sujets, l’adaptation de Fabien Gorgeart paraît vider le texte de Delphine de Vigan de sa substance, et ne lui offrir qu’un cadre où une forme légère de pathos peut se déverser et faire pleurer dans les chaumières. Formellement sobre, la scénographie tranche d’ailleurs avec le côté comédie musicale que le metteur en scène tente, par à-coups, de donner à l’ensemble et qui, par manque d’audace, apparaît tout juste décoratif.
À l’avenant, les personnages, remodelés par cette adaptation, paraissent insuffisamment sculptés pour permettre aux comédiennes et au comédien de pleinement les incarner. Avec le talent qu’on lui connaît, et qu’elle n’a plus à démontrer, Catherine Hiegel réussit, malgré tout, à donner une épaisseur singulière à celui de Michka et à lutter contre une tentation pathétique qui pourrait, par un jeu trop démonstratif, scléroser toute émotion. Mais, face à elle, Pascal Sangla et surtout Laure Blatter font bien pâle figure dans leurs rôles respectifs d’orthophoniste et de petite fille d’adoption. Tandis que le premier ne parvient jamais à sortir Jérôme de sa triste banalité, et à lui conférer une envergure qui irait au-delà du simple partenaire de jeu de Michka, la seconde tend, au fil des minutes, à s’effacer, tant et si bien qu’on en vient à s’interroger sur la nécessité de sa présence, cruellement fantomatique à force de manquer de corps, de chair et de voix – non exempte de faussetés. Au sortir, on se surprend alors à être resté insensible devant cette adaptation qui, à force de jongler avec les bons sentiments, ne ressemblent jamais vraiment à la vie, mais plutôt à une parenthèse enchantée où tout se solutionnerait par miracle, où la baguette magique serait reine et les maux profonds réduits à l’état de petits je-ne-sais-quoi.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Gratitudes
d’après le roman de Delphine de Vigan
Mise en scène Fabien Gorgeart
Avec Laure Blatter, Catherine Hiegel, Pascal Sangla
Assistante à la mise en scène Aurélie Barrin
Adaptation Fabien Gorgeart, Agathe Peyrard
Création sonore et musique live Pascal Sangla
Dramaturgie Agathe Peyrard
Scénographie Camille Duchemin
Costumes Céline Brelaud
Création lumière et régie générale Thomas Veyssière
Collaborateur son Julien LafosseProduction déléguée CENTQUATRE-PARIS
Coproduction Le Méta – Centre dramatique national de Poitiers ; Festival d’Automne à Paris ; Le Théâtre de La Coupe d’Or – Scène conventionnée de Rochefort ; L’Espace 1789 – Scène conventionnée d’intérêt national Art et création de Saint-Ouen ; Théâtre d’Angoulême – Scène Nationale ; Espaces Pluriels – Scène conventionnée d’intérêt national Art et création de PauAvec le soutien du dispositif d’insertion de l’École du TNB, du Centre national de la musique et du ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France. Fabien Gorgeart est artiste associé au CENTQUATRE-PARIS.
Durée : 1h30
CENTQUATRE-PARIS, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
du 8 au 25 novembre 2023Théâtre des Célestins, Lyon
du 29 novembre au 9 décembreThéâtre Cinéma de Choisy-le-Roi – Scène conventionnée
le 12 décembreThéâtre d’Angoulême – Scène nationale
les 14 et 15 décembreEspace 1789 – Scène conventionnée, Saint-Ouen
les 19 et 20 décembreThéâtre de la Coupe d’Or – Scène conventionnée, Rochefort
les 12 et 13 janvier 2024Espaces Pluriels – Scène conventionnée, Pau
les 16 et 17 janvierLe Grand R – Scène nationale, La Roche-sur-Yon
les 23 et 24 janvierLe Bateau Feu – Scène nationale, Dunkerque
le 27 janvierThéâtre Sorano – Scène conventionnée, Toulouse
les 30 janvier et 1er février
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !