Les Limbes est un éblouissant voyage dans les rêves d’Étienne Saglio, peuplés créatures étranges.
Après la danse en apesanteur de Wade In the Water de la compagnie 14 : 20, tandis que Yann Frisch s’empare dans son camion de l’accessoire de base de la magie moderne qu’est la carte à jouer, Étienne Saglio montre un autre visage de la magie nouvelle. « Art dont le langage est le détournement du réel dans le réel », théorisé il y a une dizaine d’années par Raphaël Navarro – regard extérieur, co-auteur des Limbes et co-fondateur de la compagnie 14 : 20 avec Clément Debailleul et Valentine Losseau –, cette discipline qui a acquis son autonomie par rapport au cirque prend en effet dans Les Limbes une forme des plus singulières. Celle d’un poème visuel où un homme se débat avec monstres et fantômes. Où illusionnisme, recherche plastique et théâtre corporel forment un univers magique qui, loin de se détourner de l’humain, en interroge les peurs et les paradoxes.
Sur un plateau nu aménagé en boîte noire, Étienne Saglio commence son voyage entre vie et mort en s’appropriant un art intimement lié à cette situation intermédiaire : celui de la marionnette. Avec une simple tête aux airs d’outre-tombe et un manteau rouge, l’artiste formé au LIDO à Toulouse et au CNAC à Châlons-en-Champagne campe un personnage en lutte avec l’inéluctable. Entre la danse et le mime, ce tableau installe d’emblée une couleur néo-romantique qui s’étoffera tout au long du spectacle d’images tout aussi belles et composites. Dès ce combat initial, le spectre de plastique qui vole autour d’Étienne Saglio et de sa créature crée un espace hybride. Dans Les Limbes, capes et épées côtoient des hologrammes. Sur le son envoûtant du Stabat Mater de Vivaldi, des drones-fantômes survolent les gradins et attaquent l’artiste. À moins qu’il ne s’agisse de son double.
Les apparitions et les éclipses qui se succèdent dans Les Limbes sont impénétrables. Contrairement à Yann Frisch qui se plaît dans Le Paradoxe de Georges à discourir sur les « trucs » qu’il déploie pour leurrer son public, Étienne Saglio cache soigneusement dans la pénombre du plateau les mécanismes qui permettent à sa rêverie de prendre forme sous les yeux du spectateur. On devine leur complexité sans chercher à les mettre à jour. On constate la cohabitation du réel et de l’irréel sans essayer d’y mettre un terme. En la renforçant au contraire de nos propres spectres. De nos angoisses et de nos fantasmes. Car si Étienne Saglio met beaucoup de lui dans Les Limbes, il le fait d’une manière accueillante. Assez abstraite pour faire une place aux démons de chacun.
L’utilisation de matériaux simples est pour beaucoup dans la force de la pièce. Éléments visibles d’un dispositif extrêmement élaboré, ils mettent en évidence la transformation du réel dont les artistes de magie nouvelle font le cœur de leur pratique. La symbolique et les références multiples dont est nourri le monde d’Étienne Saglio. Les sublimes illusions des Limbes échappent ainsi au spectaculaire au profit de la pensée et de l’émotion.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Les Limbes
Un spectacle de et avec : Étienne Saglio
Écriture et regard extérieur : Raphaël Navarro
Écriture : Valentine Losseau
Lumière et régie lumière : Elsa Revol
Régie plateau : Laurent Beucher, Simon Maurice, Vasil Tasevski, Gabriel Saglio
Jeu d’acteur : Albin Warette
Musique : Antonio Vivaldi, Jean-François Domingues
Costumes : Anna Le Reun
Développement informatique : Tom Magnier
Construction : Simon Maurice
Montage et suivi de production : Ay-Roop
Production compagnie Monstre(s) – Étienne SaglioCoproduction Festival Mettre en scène (structures associées TNB – Centre dramatique national de Bretagne / Rennes, Le Carré Magique – Pôle national des arts du cirque / Lannion, Le Grand Logis / Bruz), le TJP – Centre dramatique national / Alsace Strasbourg en partenariat avec Le Maillon – Théâtre de Strasbourg, La Brèche – Pôle national des arts du cirque de Normandie / Cherbourg, Archaos-CREAC – Pôle national des arts du cirque de Méditerranée, La Faïencerie-Théâtre – Scène conventionnée de Creil, EPCC Anjou Théâtre, Le Quai – Centre dramatique national / Angers – Pays de la Loire, l’Espace Jéliote / Oloron-Sainte-Marie, l’Espace Jean Vilar / Ifs, La Méridienne – Scène conventionnée de Lunéville, L’Estran / Guidel, avec le soutien du ministère de la Culture – DGCA et DRAC Bretagne, de la Région Bretagne et de la Ville de Rennes, accueil en résidence Le Grand Logis / Bruz, Centre culturel Jacques Duhamel / Vitré, L’Intervalle – Centre culturel / Noyal-sur-Vilaine, La Paillette / Rennes, Le Channel – Scène nationale de Calais, L’Estran / Guidel, L’Hectare – Scène conventionnée de Vendôme, Les Passerelles / Pontault-Combault, La Brèche – Pôle national des arts du cirque de Normandie / Cherbourg, Théâtre de Laval, Le Carré Magique – Pôle national des arts du cirque / Lannion, la compagnie Monstre(s) bénéficie du soutien de la Fondation BNP Paribas pour le développement de ses projets, spectacle créé les 6 et 7 novembre 2014 au Carré Magique – Pôle national des arts du cirque / Lannion dans le cadre du Festival Mettre en scène.
Durée: 55 minutesdu 23 novembre au 3 décembre 2023
du mar. au ven. à 19h30 / sam. 14h30 & 18h / dim. 15h / relâche les 26 & 27 nov.
Le Monfort
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !