Sur quelques belles pages vocales et orchestrales tirées de l’abondante œuvre lyrique de Jean-Philippe Rameau, compositeur parfaitement connu du claveciniste et chef d’orchestre Christophe Rousset, l’artiste Phia Ménard invente pour l’Opéra Comique un petit opéra hybride et existentiel où se développe un monde obscur, chimérique, mouvant et déroutant.
Pour sa première incursion dans le monde lyrique, Phia Ménard se présente davantage comme l’installatrice d’une œuvre visuelle massive et puissante que comme une metteuse en scène d’opéra dont elle ne relève pas tous les défis. Par exemple, celui de laisser se déployer sans trop d’encombre la musique ou bien celui d’utiliser le chœur, omniprésent dans le montage musical présenté mais accessoirement relayé en coulisses où réduit à l’indistinction de ses membres tapis dans l’ombre.
Le noir est d’ailleurs la tonalité dominante de sa scénographie d’abord aveuglante puis très vite assombrie. Souvent engloutie dans des vagues de fumée, elle se situe à mi-chemin entre le conte merveilleux et la science-fiction angoissante, oscille entre le gigantisme et le kitsch comme ses fruits-fleurs géants suspendus dans les cintres, entre le phylasis et l’agrume, dont les pétales flétrissent et tombent en laissant s’échapper goutte à goutte le suc dont ils regorgeaient pour traduire la jeunesse éphémère, le temps qui passe, la vie qui s’éteint.
C’est la destinée de Marguerite, personnage unique de Et in Arcadia ego dont l’argument un brin pontifiant est aussi vaste que limité. Arrivée aux portes de sa mort programmée, l’héroïne revoit son existence défiler. C’est l’exquise Lea Desandre qui incarne le rôle sans quitter le grand plateau peuplé quasiment d’aucune autre force humaine en présence. La talentueuse mezzo enchaîne ses airs dont les paroles ont été réécrites par le romancier Eric Reinhardt. Elle chante et danse, passe de l’extatisme à la séduction, tantôt virtuose, tantôt plus languissante. Assez vite, malgré toute son aisance, elle paraît livrée à elle-même, peine à trouver sa place, se voit entravée dans des déplacements vains ou dans un haut corps sombre et hiératique de grande faucheuse statufiée et sans visage. Mais elle atteint un sommet d’intensité dans les lamentations poignantes de Phèdre (Hyppolite et Aricie) qui referment la pièce.
La construction de soi et les phénomènes symboliques de mutations occupent une place importante dans l’œuvre de Phia Ménard, artiste transsexuelle qui ne pouvait que se passionner pour le parcours de cette femme, Marguerite, allant de la jeunesse à la maturité, et pour l’exploration sensible de ses états intérieurs à l’épreuve de la solitude et de la décrépitude. La signataire d’aussi beaux spectacles que L’Après-midi d’un foehn, P.P.P., Vortex, ou encore des Os noirs (dernière création bientôt présentée par le Théâtre de la ville) compose comme souvent avec les éléments. Il en va de même pour Rameau qui ne cesse d’évoquer la nature déchaînée dans ses pages musicales. L’eau, la glace, le vent traversent la scène ténébreuse. Si certains tableaux s’éternisent et n’émeuvent guère, si les transitions textuelles paraissent bien longues, la fin est juste sublime. La chanteuse tenue à un fil tient en équilibre sur un praticable en pente descendante, implorante au moment de son trépas, elle disparaît et laisse surgir une sidérante forme gonflable qui avale tout le plateau.
Dans cette ambiance mortifère, toute la vivacité et la majesté de Christophe Rousset sont les bienvenues. C’est une tornade sonore qu’il propose à la tête des Talens Lyriques, allègres dans les passages les plus tempétueux et caressants dans les plus plaintifs. Une admirable maîtrise des climats et des humeurs met en valeur la fantaisie, l’élégie, la véhémence ramistes. La chaleur lumineuse et moelleuse de sa musique éclaire la cosmogonie noire de Phia Ménard.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Et in arcadia ego
Sur des musiques de Jean-Philippe RameauDirection musicale Christophe Rousset
Mise en scène Phia Ménard, avec la participation de Jean-Luc Beaujault
Livret et dramaturgie Éric Reinhardt
Décors Phia Ménard, Éric Soyer
Costumes Fabrice Ilia Leroy
Lumières Éric Soyer
Création son additionnel Ivan Roussel
Création tableau glacé Phia Ménard, Rodolphe Thibaud, Fabrice Illia Leroy
Construction décors Philippe Ragot
Avec l’équipe de la compagnie Non Nova (direction Phia Ménard, Claire Massonnet)
Assistante à la mise en scène Laïs Foulc
Mezzo-soprano Lea Desandre
Chœur Les éléments
Orchestre Les Talens Lyriques
Nouvelle production Opéra Comique
Coproduction Théâtre de Caen, Compagnie Non Nova
Les Talens Lyriques sont soutenus par le Ministère de la Culture et la Ville de Paris. Ils reçoivent également le soutien de la Fondation Annenberg – GRoW – Gregory et Regina Weingarten et du Cercle des Mécènes.
Durée: 1h30
Opéra Comique
du 1 au 11 Février 2018
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