Seul en scène, Eram Sobhani interprète avec force et justesse Où est mon chandail islandais ? du Suédois Stig Dagerman. Le monologue d’un ivrogne à la veille de l’enterrement de son père.
Dans sa vie, Knutte n’a rien réussi. Il a honte de son travail à la voirie, même s’il passe son temps à dire le contraire. Sa femme le trompe, sa famille le prend pour un bon à rien et son seul ami, le boulanger, est réputé dans tout le village pour son alcoolisme. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Knutte traîne avec lui : lui-même est porté sur la bouteille au point de ne pouvoir s’en passer la veille de l’enterrement de son père. Dans la nouvelle Où est mon chandail islandais ? de l’auteur suédois Stig Dagerman, publiée en français dans le recueil Tuer un enfant (Agone, 2017), c’est à ce moment-là que le personnage prend la parole. Sans doute pour la première fois, et plus certainement encore pour la dernière.
En ce jour plus triste, plus solitaire encore que les autres, Knutte se lance dans un monologue que le comédien et metteur en scène Eram Sobhani interprète sur un plateau presque nu, simplement recouvert d’un assemblage de miroirs posés au sol. Et occupé par quelques projecteurs si visibles, si proches de l’acteur que leur présence se charge des significations qu’a parfois le matériel technique lorsque le théâtre réfléchit sur lui-même : ils ont valeur de mise en abîme. Avec ses nuances subtiles, la création lumière de Julien Kosselek souligne l’artifice de la scène, que le jeu fait régulièrement oublier.
Eram Sobhani est un ivrogne qui ne tangue pas. Du moins pas à la manière des vrais éméchés. De toute l’heure où il porte la parole de Knutte, le comédien ne fait pas un pas. Il commence sa complainte au fond du plateau, pour la terminer au même endroit. Seulement un peu plus transpirant, un peu plus courbé peut-être, sous le poids de la détresse de son personnage dont il fait bien ressentir la complexité. Avec une économie de gestes qui contraste avec le flux de mots qui se précipitent dans sa bouche, Eram Sobhani dévoile progressivement toutes les strates de son Knutte. De la victime de calomnies que prétend être celui-ci au tout début de la pièce, il ne reste plus grand-chose à la fin. Pas même un sale type, profil plutôt courant sur les scènes et dans les livres. Plutôt un pauvre type, dont l’identité se résume à une chose qu’il n’a pas choisie : l’alcool.
Avec son protagoniste qui rebute autant qu’il émeut, Eram Sobhani place avec force le spectateur face à l’un des nombreux choix impossibles et des paradoxes qui traversent l’œuvre de Stig Dagerman. Comment juger Knutte, alors que ses actes sont en grande partie ceux qu’a réalisés avant lui son père, et que rien à l’horizon ne peut lui laisser espérer une échappée hors d’un milieu social contraignant, qui assigne à chacun une place précise ? Où est mon chandail islandais ? nous met dans un inconfort qui suscite la pensée davantage que le sentiment. Le comédien et metteur en scène fait tout pour que l’on ne s’apitoie pas sur son alcoolique et pour qu’une part de lui nous échappe toujours. Tout comme l’auteur lui-même, qui a mis fin à ses jours sans expliquer son geste. En mettant en évidence les outils du théâtre dont il est le centre, Eram Sobhani dit aussi quelque chose de la condition de l’artiste, de sa liberté et de sa solitude.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Où est mon chandail islandais ?
Mise en scène et interprétation : Eram Sobhani
Texte : Stig Dagerman
Lumières : Julien Kosellek
Régie générale : Corto Tremorin
Diffusion : Nicolas Foray
Production : Louise Champiré
Production : La nouvelle compagnie
Soutiens : L’étoile du nord, festival ON n’arrête pas le théâtre et L’École Auvray-Nauroy
Texte édité aux éditions Agone
Durée : 1h
Théâtre de Belleville
Du 6 au 29 septembre 2020Lun. 19h15, Mar. 21h15, Dim. 20h
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !