À l’occasion du programme Envols, le Ballet de l’Opéra de Lyon traverse les jeux post-modernes de Trisha Brown dans Set and Reset / Reset, le solo détonnant de Kristina Bentz chorégraphié par Jan Martens, Period Piece, et les envolées sensuelles du Bella Figura de Jiří Kylián. Un panel varié qui fait jaillir la diversité du ballet contemporain.
À quoi ressemble un ballet contemporain ? Si les catégories de ballet classique, néo-classique ou contemporain sont incomplètes et poreuses, le Ballet de l’Opéra de Lyon s’inscrit sans aucun doute dans la dernière, tant par son approche du mouvement directe, et sans chichis, que par son répertoire où apparaissent, entre autres, les chorégraphes William Forsythe, Anne Teresa De Keersmaeker, Lucinda Childs ou Marlene Monteiro Freitas. Avec le programme Envols, la troupe lyonnaise propose de nouveau un condensé d’histoire de la danse à travers le postmodernisme américain de Trisha Brown avec Set and Reset / Reset, le solo affûté Period Piece de Jan Martens interprété par Kristina Bentz et les ondulations déroutantes de Jiří Kylián dans Bella Figura.
Deux grandes structures en fils pendent du plafond. Elles se tordent, puis se détendent lentement, en un mouvement de balancier qui fait office d’introduction à la danse. Set and Reset / Reset est une recréation de la pièce Set and Reset (1983) du Trisha Brown Ballet, qui a été transmise à l’Opéra de Lyon en 2005. À cour, les interprètes, en robe ou pantalon souple gris et bleu, avancent face à la scène. Ils commencent la même phrase chorégraphique, à l’unisson, en décalé, en canon, puis inventent des variantes, infinies : un saut, un tour, une nouvelle orientation. On reconnaît la composition en accumulation de la chorégraphe postmoderne, où les gestes sont accolés un à un pour former des séquences, avant de retourner à leur point de départ et d’en recommencer une nouvelle. C’est l’entrain et le dynamisme qui portent cette pièce, où les bras se balancent comme des pendules – ou comme les structures en fils du début –, de même que les jambes dans de grands battements, entraînés par la gravité. Leurs gestes géométriques et déplacements légers prennent la forme d’un chaos ludique.
Après les balancements de Trisha Brown, Kristina Bentz fait exploser un concentré d’émotions dans Period Piece (2020), un solo orchestré par le chorégraphe contemporain flamand Jan Martens, connu pour son attachement à la musique. Irradiant au milieu de la scène de l’Opéra, devenue immense, elle se lance sur la musique de Trois danses (1973) du compositeur polonais Henryk Górecki, qui rappelle Le Sacre du printemps de Stravinsky, sa puissance et ses accents folkloriques. Elle fait débouler une série de tours piqués, soutenus à travers la salle, quelques grands battements en avant, des grandes quatrièmes. Sa danse est tranchante. On pourrait imaginer la puissance d’un corps de Ballet, du Sacre de Nijinski justement ou des Noces de Nijinska. Incapable de tenir le rythme – malgré une pause pour reprendre son souffle, où sa robe dorée en morceaux métalliques, façon Paco Rabanne, orne la salle de reflets mouvants –, elle finit par « marquer » les pas avec les mains, comme peuvent le faire les danseurs en répétitions. Le fond de scène, orange, ressemble à un coucher de soleil, où se dépose l’épuisement de cette interprète et celui de tout un groupe imaginaire.
Bella Figura (1995) de Jiří Kylián, au répertoire du Ballet depuis 2007, clôt ce programme, avec sa grâce, ses images saisissantes et son lyrisme teinté de facétie. Plus figuratif que les deux précédents, il fait surgir une succession de tableaux, liés non pas par une narration, mais par une cohérence visuelle, sensuelle et plus généralement sensorielle. Solos, duos et trios font jaillir des arabesques presque violentes, des ondulations où les corps paraissent liquides et portés en tournant. Le Ballet de l’Opéra de Lyon souligne la sensualité abrupte de Jiří Kylián, où la fluidité s’entrechoque avec les angles droits des coudes ou des genoux. Mais l’émotion éclot lors de l’apparition des danseuses et danseurs en grandes jupes rouges, ondulant comme des coquelicots, jouant sur la souplesse des gestes, encadrés par le rideau presque refermé. La pièce se termine par un pas de deux ardent, auquel les flammes allumées en fond de scène donnent un caractère mystique. En trois pièces, le Ballet de l’Opéra de Lyon offre un condensé d’histoire du ballet contemporain, grâce à sa précision et sa vivacité retenue.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
Envols
Set and Reset / Reset
Chorégraphie Trisha Brown
Musique Laurie Anderson
Avec les danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra de Lyon : Livia Gil, Paul Grégoire, Jackson Haywood, Mikio Kato, Amanda Lana, Eline Larrory, Albert Nikolli, Anna Romanova, Marta Rueda, Emily Slawski, Giacomo Todeschi, Kaine Ward
Scénographie Michael Meyers
Costumes Adeline André
Lumières Patrice Besombes
Maîtresse de Ballet Amandine François
Répétiteurs Shelley Senter, Oluwadamilare AyorindePeriod Piece
Chorégraphie et costumes Jan Martens
Collaboration Interprètes du Ballet de l’Opéra de Lyon
Musique Henryk Górecki
Avec les danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra de Lyon : Kristina Bentz, en alternance avec Kaine Ward et Eleonora Campello
Lumières Rudy Parra
Maître de Ballet Marco MerendaBella Figura
Chorégraphie et scénographie Jiří Kylián
Musique Lukas Foss, Giovanni Battista Pergolesi, Alessandro Marcello, Antonio Vivaldi, Giuseppe Torelli
Avec les danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra de Lyon : Jacqueline Bâby, Kristina Bentz, Noëllie Conjeaud, Jeshua Costa, Tyler Galster, Almudena Maldonado, Éline Malègue, Albert Nikolli, Leoannis Pupo-Guillen, en alternance avec Eleonora Campello, Katrien de Bakker, Amanda Peet, Roylan Ramos, Gianmarco Romano, Anna Romanova, Marta Rueda, Alejandro Vargas
Costumes Joke Visser
Lumières Jiří Kylián (concept), Kees Tjebbes (adaptation)
Maître de Ballet Raul Serrano NuñezDurée : 1h40 (entracte compris)
Opéra de Lyon
du 26 octobre au 7 novembre 2024
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