Les quatre interprètes Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro-Meyer déterrent l’héritage de l’artiste italien et questionnent sa mort à travers son œuvre et ses prises de position radicales et visionnaires. Lauréat du dernier Prix Impatience, ce collectif prometteur imagine un spectacle patchwork pour varier les points de vue et insuffler vie et mouvement à cette singulière veillée mortuaire. Où l’on (re)découvre une pensée éminemment actuelle et nécessaire.
Ceci n’est pas un spectacle, mais un croquis de spectacle, et les quatre interprètes à l’origine de cette proposition collective l’assument et l’affirment comme tel, inspirés par les notes qu’avait l’habitude de consigner l’écrivain et cinéaste italien. Comme en peinture, l’artiste passe par l’esquisse avant de s’attaquer à la toile. Le brouillon apparaît alors comme une intention, un ensemble de promesses, un désir projeté, un rêve au seuil de sa réalisation. En une nuit. Notes pour un spectacle s’offre comme un éventail de tentatives, une pluralité d’angles pour approcher la pensée de Pier Paolo Pasolini, artiste touche-à-tout, usant de multiples canaux pour déployer sa vision du monde, ses préoccupations, ses affinités, son amour de la marge et ses idéaux.
En écho, Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette et Eva Zingaro-Meyer utilisent un arsenal d’outils scéniques, une palette de tonalités, pour recueillir aujourd’hui l’héritage de Pasolini : méta-théâtre, comédie à l’italienne, interactivité avec le public, quatrième mur à terre et dispositif d’interview, tout y passe en un joyeux capharnaüm pour tenter de renouer avec l’œuvre de cet homme sauvagement assassiné. En partant de sa fin, son meurtre dans la nuit du 1er novembre 1975, en imaginant son cadavre au milieu du plateau comme il a été trouvé sur ce terrain vague d’Ostie, quartier populaire de la banlieue de Rome, proche de la mer, les acteur.ices ramènent cette mort mystérieuse, et restée inexpliquée malgré plusieurs enquêtes, au centre de l’arène et de la scène.
En une nuit est le rêve d’une veillée mortuaire a posteriori, un retour vers le futur. Ou comment ramener le cadavre de cet homme, homosexuel et antifasciste notoire, farouchement opposé à la société de consommation, au cœur de nos urgences actuelles. Pasolini l’ouvrait, il s’exprimait haut et fort, n’hésitait pas à fustiger la bourgeoisie et le modèle véhiculé par la société. Sa parole, transparente et radicale, dérangeait. Sa mort ne peut être réduite à un sordide fait divers, ni à une tragédie aux accents théâtraux, elle se révèle éminemment politique. Et c’est ce processus que décortique notre quatuor attachant qui ne manque ni d’humour, ni de suite dans les idéaux. « Quelle société permet cet assassinat ? », là est la question fondamentale qui résonne bruyamment avec notre époque. Déjà, en son temps, Pasolini alertait sur les dégâts collatéraux de notre frénésie de confort et de consommation, sur les dangers de l’éducation de masse menant à un système basé sur la possession et la destruction, sur la fin du monde paysan, sur les risques d’une violence qui tait son nom et avance à couvert, sous le masque de la séduction.
Le propos de ce spectacle est sensationnel et essentiel. Il touche du doigt le nœud crucial qui nous (pré)occupe en cette période de crise du modèle ambiant, de l’empathie et du vivant. Maniant les références cinématographiques à travers un défilé de figures pittoresques et cocasses, maîtrisant l’italien qui ravive avec pertinence la langue de l’intéressé, tressant ses sources et archives pour mieux nourrir la chair du spectacle avec la sève des mots de l’artiste, les comédien.nes parviennent, sans forcer et avec une certaine joie notable, beaucoup d’allant et d’allers-retours entre leurs doutes et leur création, à transmettre l’acuité et la pertinence de ce visionnaire. Au gré de scènes qui s’empilent les unes sur les autres, et nous permettent de pénétrer dans les arcanes d’une pensée en mouvement, on entre en contact direct avec le positionnement puissant d’un anticonformiste qui aura fondé son existence sur le refus et l’acte de créer.
En une nuit nous propose de nous recueillir sur cette parole nécessaire, nous invite à voir l’invisible et à garder les yeux ouverts, à ne jamais perdre de vue le sensible et les profondeurs qui nous habitent, à retenir coûte que coûte le vivant qui s’étiole, à préserver la culture, non de masse, mais de marge. La lecture finale d’un poème de Pasolini achève de nous confronter à la saisissante clairvoyance de cet artiste qui décidément avait une longueur d’avance.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
En une nuit. Notes pour un spectacle
d’après l’œuvre de Pier Paolo Pasolini
Ecriture, mise en scène et interprétation Ferdinand Despy, Simon Hardouin, Justine Lequette, Eva Zingaro-Meyer
Collaboration à la mise en scène et assistanat Orell Pernot-Borràs
Scénographie et création costumes Elsa Séguier-Faucher
Création lumières Caspar Langhoff, Lila Ramos Fernandez
Régie générale et son Antoine Vanagt
Régie lumière Lila Ramos Fernandez
Assistanat à la mise en scène Antoine Herbulot
Regard artistique Nicolas Mouzet-Tagawa
Regard dramaturgique Nathanaël Harcq
Aide à la création sonore Laurent Gueuning, Eric Degauquier, John Cooper
Coaching vocal Brigitte RomanoProduction Habemus papam
Production déléguée Atelier Jean Vilar
Coproduction Théâtre Varia, Atelier Jean Vilar, Centre Culture de Tournai, Théâtre de Liège, Théâtre de Namur, L’Ancre, Mars – Mons Arts de la Scène, Réseau Puissance 4, Théâtre Sorano (Toulouse), CDN (Tours), La Loge (Paris), TU (Nantes)
Soutiens Fédération Wallonie-Bruxelles / Service Théâtre, Tax Shelter du Gouvernement fédéral de Belgique et Inver Tax Shelter, FRART, Arsenic 2 Herstal, Festival de Liège, le CORRIDOR, Centre culturel de ChênéeDurée : 1h40
Vu en juillet 2024 à La Scala Provence, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
Centquatre-Paris
du 8 au 18 janvier 2025
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