L’Association des centres chorégraphiques vient de réveler le résultat d’un chantier de deux ans, mené par des actrices et acteurs du secteur chorégraphique pour enrayer la baisse des chorégraphes femmes à la tête des CCN. Dans un secteur pourtant majoritairement féminin, la partie n’est pas gagnée.
On entend volontiers dire que la danse est un truc de fille. Pourtant à la direction des CCN, ce sont bien les hommes qui dominent. Les Centres chorégraphiques nationaux, lieux majeurs de la danse en France (impulsés en 1980 par l’ex-ministre de la culture Jack Lang) aujourd’hui au nombre de dix-neuf répartis dans toute la France, sont loin d’être paritaires. Et voit même le nombre de femmes à leur tête baisser…
C’est le constat de l’Association des CCN (ACCN), qui révélait le 14 avril les résultats d’un « chantier » lancé en juin 2021, en réaction à la publication d’une short-list pour un renouvellement de direction, qui ne respectait pas la parité. En 2023, trois CCN (soit 15,8 %) sont dirigés par des femmes et quatre (soit 21,05%) le sont par des binômes et des collectifs mixtes, un recul de 25% par rapport aux nominations de 2006. La nouvelle peut paraître surprenante, dans un contexte où les enjeux portés par les luttes féministes prennent une place de plus en plus importante dans le débat public. Pourtant cette étude lancée à l’initiative des directrices et directeurs de CCN (menée par un groupe de travail de onze actrices et acteurs du secteur chorégraphique), n’est pas la première en la matière. En 2009, Reine Prat et Cécile Hamon alertaient déjà sur les problèmes de parité dans le secteur de l’art du spectacle. Malgré ces initiatives, les changements sont loin d’être flagrants. Alors quels sont les blocages, dans cet écosystème où, de prime abord, les femmes semblent loin d’être lésées ? Et surtout comment y remédier ?
Pour Maud Le Pladec, qui dirige depuis 2017 le Centre chorégraphique d’Orléans, le secteur chorégraphique souffre, comme l’ensemble de la société du patriarcat : « Même de manière inconsciente il est fort possible qu’une personne à la tête d’un lieu programme plus d’hommes, car elle est plongée dans un système patriarcal, rappelle la chorégraphe. Tant qu’il n’y a pas de changement de mœurs, il faut des quotas. Ce n’est pas possible que cette question de parité repose seulement sur le bon vouloir des personnes à la tête de structures » La chorégraphe met alors l’accent sur l’éga-conditionnalité des financements pour les compagnies, qui lui semble une piste primordiale. Car s’il y a presque autant de compagnies dirigées par des femmes et des hommes en France (550 diffusées et dirigées par des femmes contre 557 par des hommes), le nombre de spectacles diffusés est bien supérieur pour ces messieurs (49,3% pour 34,7%), disparité liée à un écart flagrant de financement entre les genres.
Ambra Senatore, directrice du CCN de Nantes, pointe aussi la parentalité et la propension des femmes à se consacrer davantage à leur famille : « En menant ce chantier, nous nous sommes aperçus que ce qui gênait en partie les potentielles candidates c’était la famille et la gestion du foyer, que les hommes prennent statistiquement beaucoup moins en charge, » explique la chorégraphe italienne. A cela, l’ACCN répond par la mise en place d’un système de garde d’enfant, mais aussi l’indemnisation des processus de recrutement pour permettre aux chorégraphes de postuler sans avancer de nombreux frais. Parmi la dizaine de préconisations de l’ACCN, on compte aussi la valorisation du matrimoine (l’héritage culturel et artistique de la création des femmes), la lutte contre le syndrome d’imposture grâce à l’accompagnement des étudiantes ou encore la formation des jury de sélection… Ensemble d’outils pour lutter contre les biais et les obstacle du patriarcat. Le 20 septembre prochain à Lyon, à l’occasion Biennale de la danse de Lyon, le secteur chorégraphique est invité à se réunir pour imaginer un plan d’action à partir de ces recommandations. Pour faire enfin craquer, on l’espère, cet épais plafond de verre.
Belinda Mathieu – www.sceneweb.fr
L’égalité femmes-hommes dans les directions des Centres chorégraphiques nationaux à consulter ici
A lire sur le sujet : Hélène Marquié, Non, la danse n’est pas un truc de filles ! Essai sur le genre en danse, 2016, De L’attribut Eds.
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