Co-signé par le chorégraphe Chris Leuenberger et le metteur en scène Marcel Schwald, Ef_femininity s’intéresse, à travers l’itinéraire de quatre artistes, à la dépréciation du féminin et à la non-binarité. Une forme percutante.
Si, en français, « effémination », substantif désignant « l’action de prendre progressivement, volontairement ou non, les caractères physiques ou moraux d’une personne efféminée », est peu usité, l’adjectif « efféminé » l’est nettement plus. Le plus souvent de manière péjorative, afin de qualifier une personne à qui l’on prête une apparence physique et des attributs féminins – la preuve en sont ses synonymes « délicat », « mou », « douillet », renvoyant à une absence d’énergie. Ayant vécu pendant leur enfance la dépréciation de tout caractère féminin – tous deux souhaitaient être une fille –, Chris Leuenberger et Marcel Schwald travaillent dans Ef_femininity sur la question de l’assignation à un genre. Mais les deux artistes suisses, invités à présenter ce spectacle dans le cadre de la Sélection suisse à Avignon, le font en excédant leur parcours personnel, comme les normes de genre prévalant en Occident.
Ainsi, les interprètes présents au plateau sont, outre Chris Leuenberger, trois artistes indiennes : Living Smile Vidya (actrice, clown et autrice trans), Diya Naidu (danseuse) et Shilok Mukkati (journaliste et poétesse trans). Motivé par la découverte par Leuenberger de l’importante scène activiste queer de Bangalore, ce choix permet de dessiller le regard sur ce continent, et interpelle sur le caractère culturel de nos conceptions du genre. Pays de paradoxes, l’Inde qui a dépénalisé en septembre 2018 seulement l’homosexualité, reconnaît depuis avril 2014 l’existence d’un troisième genre neutre, ni assigné masculin ou féminin. Tandis qu’il est fait mention d’un troisième genre dans des textes tels que le Mahabharata ou le Ramayana, il existe depuis plusieurs siècles les Hijras, une caste traditionnelle de femmes transexuelles ou de personnes intersexes. Une caste néanmoins misérable, dont les membres sont souvent obligés de mendier ou de se prostituer pour survivre …
Sur un plateau nu, les quatre interprètes vêtus de noir vont alterner séquences à plusieurs et en solo. Cela débute par des gestes très simples, des déplacements en quatuor rythmés par un tic tac cadencé, tandis qu’un texte s’affiche sur un écran surplombant le fond de scène. « Tout genre est violence » en est la phrase inaugurale, et tous les écrits qui suivent, prononcés par les interprètes dans leur langue ou simplement projetés, s’articulent autour de cette idée. Tandis que Living Smile Vidya évoque la condescendance dans son pays à l’égard des personnes trans ou l’exclusion encore plus grande dont souffre les hommes trans (en regard des femmes trans), Diya Naidu raconte le sexisme éprouvé dans son apprentissage de danseuse, et un viol collectif. Chacun des quatre artistes témoigne successivement de ses difficultés et souffrances face à l’injonction à la binarité, aux discriminations sexistes, à l’homophobie et à la transphobie.
Prolongeant cette urgence à dire, à interpeller, les chorégraphies sont souvent directes, essentielles. À la liberté revendiquée des paroles et des corps répondent les multiples vocabulaires chorégraphiques traversés. Parmi les séquences les plus poignantes figure celle où Living Smile Vidya, dans un cercle de lumière, énumère et détaille chacune de ses cicatrices. Leur histoire est celle de la haine pour plusieurs, mais elles constituent aussi « [sa] lutte, [sa] survie et [sa] force. » Il y a une manière ici puissante de retourner le stigmate et de rappeler qu’au-delà de ce que nous, spectateurs, recevons comme un spectacle – certes documentaire – il en va pour ses interprètes d’un combat quotidien pour faire valoir leurs droits. Avec vitalité, Ef_femininity puise dans l’intime pour permettre à des artistes de défendre au plateau, en gestes et en mots, leurs convictions.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Ef_Femininity
Direction artistique Chris Leuenberger, Marcel Schwald
Avec Chris Leuenberger, Shilok Mukkati, Diya Naidu, Living Smile Vidya
Assistante Anna Josepha Fritsch
Regard extérieur Anne Haug, Kirtana Kumar, Joshua Muyiwa
Costumes Salome Egger
Lumière & direction technique Thomas Kohler
Son Thomas JekerProduction Schwald / Leuenberger
Co-production Dampfzentrale Bern, Kaserne Basel
Un projet accompagné par Danse & Dramaturgie, un programme initié par Théâtre Sévelin 36, en collaboration avec Dampfzentrale Berne, Tanzhaus Zurich, TU – Théâtre de l’Usine, ROXY Birsfelden
Soutiens 1 Shanti Road Studio Gallery Bangalore, Fachausschuss Tanz & Theater de Bâle, Ville de Berne, Canton de Berne, SSA – Société Suisse des Auteurs, Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture, Shoonya Centre for Art and Somatic Practices Bangalore, Pour-cent culturel Migros, SüdKulturFonds, Burgergemeinde Bern, Gesellschaft zu Ober-Gerwern.
Remerciements Adishakthi Theatre Arts Residencies, Infinite Souls Residencies BangaloreDurée : 1 heure
Festival Off d’Avignon 2019
Les Hivernales – CDCN d’Avignon dans le cadre de la Sélection suisse à Avignon
du 10 au 20 juillet à 21h15 – Relâche le 15 juillet
Article intéressant que je ne relayerai pas car l’usage du terme transexuelle est stigmatisant et insultant.
Dommage