On aimerait tant que François Hien succède à Gabriel Attal ! Son spectacle Éducation Nationale saisit avec acuité les enjeux, fractures et impasses d’un monde éducatif auquel il rend le souffle d’un idéalisme qui, de l’extérieur, paraît parfois lui manquer. Si drôle, intelligent et émouvant.
A l’heure où le fugitif Ministre de l’Éducation est bombardé Premier Ministre, François Hien avec sa dernière pièce, Éducation Nationale, rouvre le grand chantier de l’école. Non pas à coups de mesures politiques aux relents réacs – uniforme, classes de niveau, interdiction de l’abaya – qu’il égratigne au passage, mais à partir d’une vaste exploration, comme il en a l’habitude, qu’il a menée pendant plusieurs mois dans trois établissements de la région lyonnaise* pour l’aider à mettre à jour les lignes de force qui travaillent le quotidien de ceux qui pratiquent « le plus beau métier du monde ».
Celui qui refuse l’étiquette de théâtre documentaire qu’on lui accole volontiers, déploie donc cette fois une vaste galerie de personnages dans un lycée imaginaire de grande périphérie au nom hautement symbolique, – Ministre de l’Education et des Beaux-Arts sous Léon Blum et grand promoteur de l’Éducation populaire – Jean Zay. On y suit des profs aux profils variés, une CPE (Conseillère Principale d’Education), une AESH (Accompagnante d’Élève en Situation de Handicap), une équipe de direction, une chargée de l’entretien, tout un personnel qui travaille au jour le jour avec des élèves que Hien fait venir sur scène : iels constitueront un groupe, changeant toutes les deux représentations, chargé d’incarner ceux pour qui se bat supposément la grande communauté éducative comme on l’appelle.
Mais qu’attend-on d’eux exactement ? Que veut-on leur transmettre au sein de l’école ? Avec ces questions en arrière-plan, la première partie du spectacle entrelace les différents parcours et personnages portés par les élèves et surtout dix interprètes impeccables qui changent de rôle à toute vitesse. Un proviseur – très drôle – qui ne prend aucun problème véritablement au sérieux, un prof en difficulté qui se fait inspecter, les délégués syndicaux qui révèlent les lignes de fracture entre l’opposition frontale à l’ancienne et l’individualisme croissant des enseignants, mais aussi une CPE débordée, une AESH de bonne volonté et des enfants qui posent parfois des difficultés. Une plongée vivante et stimulante dans le paysage ordinaire d’un lycée périphérique public où l’incessant combat pour obtenir des moyens n’empêche pas la continuelle recherche de sens qui nourrit le métier.
C’est un ancien prof du secondaire qui écrit ces lignes et peut témoigner de l’acuité du regard que Hien pose sur les rouages d’un lycée. Alliances et oppositions entre profs, rigidités hiérarchiques, interrogations pédagogiques et solitude immanente au métier sont parfaitement saisis dans cette ronde menée tambour battant qui laisse un instant craindre que l’on s’y perde ou que l’on en reste au niveau du diagnostic clinique dont la richesse suffirait, c’est vrai, à faire une pièce. Mais, François Hien rebat les cartes au terme d’un conseil de discipline que vient interrompre une sirène « alerte intrusion ». Après l’entracte, le spectacle redémarre sur une assemblée générale d’occupation du lycée qui va donner lieu à la mise en place d’une sorte de Nuit Debout de Jean Zay, un mouvement de révolte spontanée qui réunit élèves et personnel éducatif et tente de réinventer les utopies d’un monde qui n’en manque pas. Un souffle révolutionnaire qui rappelle la fascination de Hien pour le Ça ira de Pommerat, mais aussi son goût pour un théâtre qui ne serait pas intimidant, et qui s’adresse sans surplomb à ceux dont il parle, parents, éducateurs et élèves réunis. Et ils sont tous là sur scène, entremêlés et non plus séparés, le temps d’une parenthèse, d’un pas de côté, de ceux qui seuls peuvent bouleverser la donne d’un monde qui n’en peut plus de réformes successives faisant toujours l’économie de le repenser. On en ressort enthousiaste, enrichi d’une analyse aiguisée mais aussi emballé par cette manière que François Hien et sa troupe ont décidément de faire du théâtre un art d’apparence simple, transversal et puissamment rassembleur.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
*Le livre Education Nationale de François Hien et Sabine Collardey donne la version intégrale du texte et retrace le travail de terrain effectué par la compagnie de l’Harmonie Communale dans ces trois établissements. Un ouvrage précieux parce qu’il articule le processus de création et son résultat. Edition Libel Lyon, 2024
Education nationale
de François Hien
avec Anne de Boissy, Gilles Chabrier, Sabine Collardey, Clémentine Desgranges, Kathleen Dol, Géraldine Favre, Yann Lheureux, Lauryne Lopes de Pina
en alternance avec Ophélie Ségala, Martin Sève, Léa Sigismondi
et chaque soir une classe différente de lycéens de la métropole
dramaturgie Sabine Collardey
assistanat à la mise en scène Ophélie Ségala
costumes et scénographie Sigolène Pétey
régie générale et lumières Benoît Brégeault et Maxime Rousseau
administration, production, diffusion Nicolas Ligeon
production, diffusion Pauline Favaloro
coordination Mathieu Flamens
production Ballet Cosmique
coproduction Théâtre National Populaire, Villeurbanne – Théâtre de Bourg-en-Bresse – scène nationale – Théâtre de Villefranche – scène conventionnée – FACM – PIVO – Scène conventionnée avec l’aide de la Région Auvergne-Rhône-Alpes – la Ville de Lyon.Durée : 3 h
TNP Villeurbanne
du mardi 9 janvier au vendredi 19 janvier 2024
Grand théâtre • salle Roger-Planchon
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