Ils viennent de créer, mi-novembre, à Lorient, leur deuxième opus avant de le présenter dans le cadre du Festival Supernova #7 – Festival Jeune Création au théâtre Garonne (en partenariat avec le Théâtre Sorano). Après POLYESTER, encore en tournée, Margot Alexandre et Nans Laborde-Jourdàa accouchent d’un nouveau spectacle : DUET affirme une écriture et une tonalité singulières, marque de fabrique de la compagnie TORO TORO.
À une lettre près ce serait un duel, mais ça ne l’est pas, bien au contraire ; à deux lettres près, ce serait un duo, et c’est le cas. Mais Margot Alexandre et Nans Laborde-Jourdàa, cofondateurs de la Compagnie TORO TORO, ont choisi sa version anglaise, DUET, pour intituler leur deuxième création, et en majuscules s’il vous plaît. Peut-être parce que l‘histoire se déroule aux Etats-Unis – et quand bien même elle pourrait tout à fait se dérouler ailleurs. Peut-être aussi pour sa résonance musicale, sa sonorité presque désuète. Peut-être enfin pour le pas de côté que le changement de langue opère. Car Margot et Nans ont ce goût déraisonnable pour les pas de deux décalés et cet attachement fondamental à explorer au plateau toutes les possibilités de leur alliance. L’alliage de leurs personnalités et ses possibles. Faire théâtre à partir de leur lien.
Aucun penchant réaliste ici, rien d’autobiographique, ni de nombriliste, il ne s’agit en aucun cas de parler d’eux, mais d’explorer à deux la friction de leurs imaginaires pour s’échapper à belles enjambées vers la fiction et ses délices. Le résultat, dans la droite lignée de POLYESTER (le travail avec les amateur.ices en moins), explore avec gourmandise leur penchant partagé pour la bizarrerie des situations, l’incongruité des dialogues, la subtilité des détails fondue dans une propension réjouissante à flirter avec le kitsch, voire le mauvais goût (esthétique et musical) ; et de cette mixture improbable nait paradoxalement une poésie de plateau atypique et rafraîchissante. Une originalité sans grandiloquence, une imagination qui joue à saute-mouton, un endroit du sensible qu’ils attrapent par la lorgnette de l’humour, une façon bien à eux d’engager avec le même panache l’audace et la grimace, de faire parler les corps quand les mots butent sur le réel, de donner toute sa place à la tendresse… Toutes ces facettes miroitantes font le sel et l’ADN de TORO TORO.
C’est par les pieds qu’on les découvre. Cachés derrière un étroit rideau vertical en fond de scène qui se lève comme une aurore pleine de promesses sur un spectacle teinté d’humour et de mélancolie, nos deux partenaires tout de noir vêtus entament une série de figures chorégraphiées, compliquées, au ridicule assumé. Ambiance patinage artistique ou danse de salon c’est selon, ce prologue à la fois désopilant et déroutant annonce pourtant la suite autant qu’il fait le lien avec la précédente création de la compagnie, POLYESTER, qui se déroulait dans un studio de danse. La scène suivante nous embarque ailleurs, dans un petit appartement américain au mobilier encore ficelé, rembourré ou sous plastique, comme après un déménagement récent, à l’image du spectacle qui cultive avec grâce l’entre-deux, le borderline, le flottement, qui ne s’installe jamais complètement. Comme pour ne rien figer au risque d’en tuer la vie, ne rien solidifier au risque de l’étouffer.
Et pourtant, dès la première seconde on est embarqué. Lui en équilibre précaire sur son escabeau, troublé par l’arrivée intempestive d’un plan cul pas prévu. Scène poilante qui ne manque pas de répliques croustillantes, mais ne laisse absolument pas présager de la tournure des évènements, tant Nans Laborde-Jourdàa et Margot Alexandre ont cette façon bien à eux d’avancer dans la fiction sans filet, d’oser aller sur des territoires narratifs glissants qui les amènent à imaginer la relation-colocation d’un éthologue et d’une guenon. Car il est là l’enjeu de ce spectacle au charme captivant : évoquer l’amitié et lui donner « la même force romanesque qu’une histoire d’amour », dixit TORO TORO. Et si cette façon d’être en permanence sur le fil leur permet d’imposer un récit abracadabrant, on n’en est pas moins engagé émotionnellement, pris dans leur oscillation perpétuelle entre comédie et drame. Ne pas savoir sur quel pied danser ne nous empêche pas de danser.
Et il est des scènes que l’on pourrait presque déjà qualifier d’anthologiques, comme ce rap à deux voix face public qui ne lésine pas sur les rimes et la réverbe. DUET joue sur la corde et son rapport récurrent au dévoilement – levers de rideau et tombés de costume, structure parcellaire de l’intrigue, jeu sur le champ et le hors-champ, le vrai et le faux – va de pair avec la mise à nu des interprètes et du théâtre en tant que tel. Nans Laborde-Jourdàa et Margot Alexandre aiment jouer et ça se voit. Leur jeu relève de la maestria en ce qu’ils ne sont jamais là où on les attend, dans cette oscillation permanente et subtile entre le dedans et le dehors, l’implication et la distance. Tous les deux sont aussi touchants que désopilants, drôles et tendres à la fois, définitivement attachants. Et la douceur radieuse qui émane de leur complicité scénique en dit aussi long que l’affection indéfectible que se portent cet homme au bord du vide et ce primate doué de parole.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
DUET
Jeu, mise en scène, texte Margot Alexandre et Nans Laborde-Jourdàa
Conception Nans Laborde-Jourdàa
Collaboration artistique Leslie Bernard
Scénographie Lucie Gautrain
Lumières César Godefroy
Création sonore et musique Samuel Favart Mikcha
Costumes Pauline Kieffer
Perruques/masques Cécile Kretschmar
Travail zoomorphique Cyril Casmèze – Jade & Cyril Cie du Singe DeboutProduction TORO TORO
Coproduction Théâtre Garonne, scène européenne, Toulouse ; CDDB, CDN de Lorient ; la vie brève – Théâtre de l’Aquarium ; Théâtre de Vanves ; Malraux − Scène nationale Chambéry Savoie ; l’OARA Office Artistique de la Région Nouvelle-AquitaineAvec le soutien de la Scène nationale Sud-Aquitain, Bayonne ; la Maison Forte, Monbalen ; Vous êtes ici – Un festival à Villeréal / Atelier de Paris – CDCN ; Ateliers Voto
Ce projet a bénéficié du dispositif d’aide au compagnonnage du Ministère de la Culture avec l’Association Display / Fanny de Chaillé. Ce projet est soutenu par la Drac Nouvelle-Aquitaine – aide aux projets compagnie dramatique.
Durée : 1h15
Zoom d’hiver, Théâtre de Vanves
les 13 et 14 janvier 2023Théâtre de l’Aquarium, Paris
les 26, 27 et 28 janvier
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