Gros vent de liberté et d’invention scénique avec Dicklove, performance festive et politique sur les représentations de genre. Juglair, artiste aux mille talents, y déploie un art baroque et gender fluid, qui se balade entre mât chinois et drag-queen. À découvrir absolument.
Vive la performance ! On ne dira jamais assez que c’est souvent du côté de cet art qu’on trouve ces étonnements, ces chocs, qui nous motivent à fréquenter assidûment les salles de spectacle. Du corps, des images, un rapport original au spectateur, un mélange des genres et juste ce qu’il faut de mots, la performance est aussi le plus souvent éminemment politique, nous place directement face à ce qui agite nos sociétés. Avec son drôle de titre aux allures pornos, Dicklove ne déroge pas à la règle. Show enthousiasmant d’un peu plus d’une heure, il nous propulse au cœur des représentations de genre.
Des représentations entre lesquelles sa conceptrice et performeuse, Sandrine Juglair, s’amuse à naviguer ; des représentations qu’elle fait vaciller au gré de ses multiples transformations. Assise parmi les spectateurs, Juglair – c’est son nom d’artiste – démarre ainsi en relatant, sur un mode supposé autobiographique, son enfance de jeune fille qui courait plus vite que les garçons et les laissait finalement la dépasser pour ne pas leur faire de peine. Puis, du simple fait de se déshabiller sous nos yeux pour enfiler une tenue de sport, et, imperceptiblement, de modifier ses postures et sa voix pour les faire basculer du côté masculin, elle se transforme en cet homme qu’on n’avait pas vu venir. Juglair s’est formée au Centre National des Arts du Cirque (CNAC), notamment au mât chinois, discipline particulièrement mâle. Avec son corps « anormé », comme elle le nomme, parce que très musclé, elle passe avec une fluidité presque magique des signes d’un sexe à ceux de l’autre, et défait en même temps qu’elle les convoque tous ces repères qui structurent bon an mal an notre regard.
« Je suis quoi ? », demande-t-elle avec malice et en chanson. Rien qu’à ses titres, celle qui avait présenté Diktat, avant Dicklove, au Monfort ne manque pas d’humour. De présence scénique non plus. Au côté de Lucas Barbier, qui l’accompagne en direct avec ses entraînants morceaux électros, elle se lance dans des tableaux aux esthétiques multiples et abouties. Il faut dire que Juglair efface les frontières entre les genres autant qu’entre les disciplines. Passant naturellement du mât chinois à la barre de pole dance – dont on n’avait jamais réalisé à quel point ils se ressemblaient –, elle joue de son talent d’acrobate qui grimpe et tourne sans effort autour du mât, tel un puissant automate ; puis, la minute suivante, est capable d’onduler des fesses, toute en courbes, en mode Beyoncé perchée sur des chaussures rouges à talons aiguilles.
Femme, homme, trans, cis, queer, intersexe, les catégories abondent, et Juglair les fait toutes exploser dans ce spectacle jouissif. « Je suis quoi ? », chante-t-elle encore. Et nous, que sommes-nous ? « You ? Man » devient « human ». Clown triste, drag inquiétant, belle ou beau au bord du ridicule, en showgirl ou silencieuse au plus près du public, ce sont tous les jugements esthétiques qu’elle renverse dans le même mouvement, ouvrant au passage de nouveaux espaces de liberté. Dans un costume à la Peaches, enfin, Juglair achève sa mue, car c’est un personnage autant qu’une personne, et revient s’asseoir parmi nous.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Dicklove
Création et interprétation Juglair
Création et interprétation sonore Lucas Barbier
Regards extérieurs et dramaturgiques Claire Dosso et Aurélie Ruby
Création lumière Julie Méreau
Construction Max Heraud, Etienne Charles, La Martofacture
Costumes Léa Gadbois-LamerProduction Gueule
Coproduction, résidences et soutiens Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie, Cirque Théâtre d’Elbeuf et la Brèche à Cherbourg ; Le Manège, Scène nationale, Reims ; Théâtre de Cornouaille, Scène nationale, Quimper ; Le Channel – Scène nationale, Calais ; Onyx, St Herblain ; L’Espal – Les Quinconces, Scène nationale, Le Mans ; Furies – Le Palc, PNC, Châlons-en-Champagne ; Cirque Jules Verne, PNC, Amiens ; AY-ROOP, Scène de territoire pour les arts de la piste, Rennes ; Le Domaine d’O, Montpellier ; Théâtre La Vista – La Chapelle, Montpellier ; La Cascade, PNC Ardèche Auvergne Rhône-Alpes, Bourg-St-Andéol ; Cirk’éole, Montigny-lès-Metz ; La Verrerie, PNC Occitanie, Alès ; TRIO…S, Inzinzac-Lochrist ; Espace Périphérique, Parc de la Villette – Mairie de Paris ; La Martofacture, Sixt-sur-Aff
Avec le soutien du ministère de la Culture – DRAC Bretagne, de la SACD / Processus Cirque et de la Ville de Saint-HerblainDurée : 1h
Théâtre Silvia Monfort, Paris
du 2 au 10 octobre 2024Scène nationale d’Orléans
les 7 et 8 novembreLe Carré Magique, Lannion
les 15 et 16 novembreMons Arts de la Scène, dans le cadre du festival Guerrières ! (Belgique)
du 25 au 27 mars 2025Le Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon
du 23 au 26 avril
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