En mélangeant danse, arts visuels, musique et vidéo, le chorégraphe Sylvain Groud, la plasticienne Françoise Pétrovitch et le réalisateur Hervé Plumet signent à trois Des Chimères dans la tête, une création hybride, esthétiquement stupéfiante qui démarre à la perfection et s’étiole légèrement dans son deuxième mouvement.
Danser un dessin, l’allitération déjà nous emmène loin. Poursuivant une collaboration fertile après une première création en binôme (Adolescent), le chorégraphe Sylvain Groud, à la tête du Ballet du Nord depuis quelques années et la plasticienne Françoise Pétrovitch, s’associent cette fois au créateur audiovisuel Hervé Plumet pour concocter un spectacle combinant leurs disciplines à destination du jeune public. Ils sont donc trois à orchestrer cette friction des arts tandis qu’au plateau, c’est un trio qui lui donne corps dans un espace à la fois contraignant et ouvert, offrant un hors champ inhabituel à notre imaginaire. Dispositif inédit où scénographie, projections vidéo, musique et chorégraphie constituent à parts égales les éléments d’un spectacle puzzle jouant des formes et des couleurs dans un bain musical prégnant. Ici les interprètes, relégués bord cadre, se fondent dans le décor ou plutôt en émergent, ils n’ont pas le premier rôle et se partagent la scène avec les aquarelles ondoyantes de Françoise Pétrovitch. Outre son originalité et sa nouveauté, le procédé propose une répartition de l’espace et des corps dans l’espace pour le moins surprenante.
Au centre du plateau, un écran large, format cinémascope, semble flotter à quelques mètres au-dessus du sol. Il focalise le regard tandis que la bande sonore installe d’emblée son mystère. Un premier dessin apparaît, le buste d’une petite fille au regard mélancolique. Puis de sa tête sortent des filaments de peinture, des tracés calligraphiques, des coulées d’encre, et tandis que la batterie s’intensifie donnant son rythme de croisière à la représentation, des éclairs éclaboussent l’écran. Le visage de l’enfant tantôt transparaît, transparent, comme sur une radioscopie, tantôt se dilue dans la peinture à l’eau. Puis tout à coup lui pousse une paire de jambes, combinant au dessin des membres humains. A partir de là, les images s’enchaînent, animaux ou formes inventées apparaissent et disparaissent tandis que jambes, pieds, bras et mains complètent physiquement le tableau mouvant. Un bestiaire épatant d’expressivité prolongé d’excroissances inattendues, aussi poétiques que drolatiques, s’invite en une farandole projetée qui suit la dynamique insufflée par la musique. L’effet est magique, l’ensemble, d’une précision et d’une délicatesse inouïe. On est happé, conquis par la portée imaginaire de ces corps impossibles en apesanteur, hybridations en deux et trois dimensions.
Les chimères qui naissent sous nos yeux nous entraînent en paysage aquatique ou bucolique, la bande sonore accompagne ces voyages de bruits d’eau ou de forêt frémissante, une voix s’immisce, ironique, défiant nos phrases catapultes d’adultes, stéréotypées et castratrices : « Arrête de rêver », « reste tranquille », « ne dépasse pas du cadre » quand c’est justement ce qui se joue, concrètement, ces sorties de cadre. On rêve les yeux ouverts. La partition chromatique ne gâche rien aux images, vert, violet, rose, rouge, bleu et jaune. Fond de scène et écran se teintent en complémentarité et c’est un éblouissement avant un blanc sur blanc nimbé de silence annonçant une deuxième partie sur un autre ton. Page blanche sur laquelle les doigts se font araignées agitées, les bras caressants et les chevelures dégoulinent. Parenthèse avant glissement puisque les corps quitteront alors leur cachette pour fouler enfin la terre ferme du plateau et retrouver leur intégrité. Augmenté.es de costumes énigmatiques et abstraits (également imaginés par Françoise Pétrovitch), les danseur.ses se métamorphosent. Ici, une silhouette de lianes, là une pluie de gouttes, formes étranges entre le végétal et l’animal, jouant les prolongations avec les chimères moitié charnelles moitié virtuelles de la première partie, ces créatures ancrent leur présence dans le sol, dans sa gravité inéluctable. Puis se déparent de leurs protubérances de tissu, comme on laisse derrière soi sa vieille peau, mutent à vue et libèrent leurs corps avides de danser.
Malheureusement, la chorégraphie, certes agréable à regarder, perd la radicalité du geste initial et dilue la stupéfiante perfection du début dans des mouvements plus conventionnels, de même que l’usage de costumes encombrants semble entraver la gestuelle plus que la nourrir. Le passage de l’univers graphique originel, léger et aérien, à son déploiement chorégraphique au plateau, ne se fait pas sans une déperdition de grâce et de magie. Mais rappelle aussi la réalité du corps, dans ses contraintes morphologiques et ses limites physiques. Et le trio de danseur.ses, entre roulades et lancés de jambes, électrons libres ou agglomérats formant un magma chromatique à plusieurs têtes et membres multiples, retrouve par éclats en écho les formes dessinées, ricochets aux images projetées. Geste graphique et chorégraphique se rejoignent alors en des rencontres impromptues qui portent haut l’ambition du projet et le rêve enfantin de voir prendre vie un dessin.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Des Chimères dans la tête
Conception Sylvain Groud, Françoise Pétrovitch, Hervé Plumet
Chorégraphie Sylvain Groud
Dessins et costumes Françoise Pétrovitch
Musique, création vidéo Hervé Plumet
Lumières Michaël Dez
Réalisation costumes et accessoires Chrystel Zingiro et Élise Dulac
assistées de Rachel Oulad El Mjahid et Capucine Desoomer
Direction technique Robert Pereira
Régie plateau Maxime Bérenguer
Régie son Rémi Malcou
Avec Quentin Baguet ou Julien-Henri Vu Van Dung, Charline Raveloson,
Salomé Van Quekelberghe
Assistante chorégraphique Lauriane Madelaine
Production Ballet du Nord – Centre Chorégraphique National Roubaix Hauts-de-France
Soutien KLAP Maison pour la danse à Marseille
Durée : 1h
Deux versions : A partir de 5 ans et de 8 ansLes 24 et 25 novembre 2023 à la Grande Halle de la Villette à Paris
29.11 > 01.12 : Lille, Le Grand Bleu festival forever young
07.12 > 09.12 : Angoulême, Théâtre d’Angoulême, SN
15.12 > 16.12 : Valenciennes, Le Phénix, SN
12.01 > 13.01 : Lens, Le Louvre-Lens
01.02 > 03.02 : Malakoff, Théâtre 71, SN
08.02 > 10.02 : Argenteuil, Le Figuier Blanc
09.04 : Pont-Audemer, L’Éclat
23.04 > 27.04 : Sartrouville, Théâtre Sartrouville CDN
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