Des villages dévastés, des familles séparées et des soldats endurcis: les scènes tragiques de l’invasion russe de l’Ukraine ont été adaptées au Teater Katapult à Aarhus, par des acteurs ukrainiens exilés au Danemark.
La pièce Opération spéciale, jouée samedi soir à Aarhus, la deuxième ville danoise, a été écrite par Anatoliy Zinovenko, un acteur bien connu en Ukraine pour ses performances au cinéma, à la télévision ou au théâtre. Avec son titre faisant directement référence au qualificatif euphémique « opération militaire spéciale » forgé par Vladimir Poutine et le Kremlin pour désigner la guerre en Ukraine, elle raconte le huis clos entre deux femmes ukrainiennes, seules rescapées d’une attaque russe, et un soldat russe blessé dont elles décideront du sort.
Acteur expérimenté de 62 ans, dont la carrière a commencé sous l’ère soviétique, Anatoliy Zinovenko n’avait jamais écrit de pièce de théâtre avant la guerre. Mais « c’est l’Ukraine » qui a cette fois guidé sa plume. « Tout ce qui était dans mon coeur, c’est sorti sur le papier. Tout ce que j’avais entendu, vu et compris, je voulais que tout soit couché sur le papier ».
Lui et sa femme Tetyana – qui tient un des trois rôles principaux de la pièce – avaient été contraints de fuir Kiev dix jours après le début de l’invasion fin février 2022, lorsque les roquettes et les hélicoptères volaient au-dessus de chez eux. « C’était impossible à comprendre, personne ne croyait qu’il y aurait une guerre, mais c’est arrivé », explique le metteur en scène, qui joue dans la pièce le rôle du Russe blessé.
« Plus humain »
Abandonné par sa section, le militaire s’introduit dans un logement où il se retrouve chez deux Ukrainiennes, seules survivantes d’une attaque contre leur village. Aider le blessé ou s’offrir une revanche? Le dilemme des deux femmes est une histoire d’ « héroïsme, d’humanité et de spritualité », résume Anatoliy Zinovenko. « Les femmes, qui ont échangé leur position avec l’occupant, ont l’opportunité de le tuer. Mais elles ne le tuent pas. Pourquoi? Parce qu’elles n’en sont pas capables ».
Les producteurs de la pièce d’une heure – qui en est à sa seizième représentation à travers le Danemark – y voient un « pont culturel » entre l’Ukraine et le paisible pays scandinave, qui a accueilli 30.000 Ukrainiens depuis l’an dernier malgré une ligne jusque-là très dure contre les demandeurs d’asile.
« Au Danemark, nous ne vivons cette guerre que via les médias, les prix de l’électricité et de l’alimentation », explique Torben Dahl le directeur du théâtre Katapult, qui accueille la petite troupe ukrainienne. « Ce que nous voulons c’est que les gens au Danemark vivent cette situation sur un plan plus humain ».
Mardi à Copenhague, le ballet et l’orchestre national d’Ukraine doivent se produire au théâtre royal, en présence de la reine du Danemark Margrethe II, pour lever des fonds pour leur pays.
Les bénéfices d’Opération spéciale sont eux aussi reversés à des ONG humanitaires actives en Ukraine.
Selon l’Unesco, la branche culturelle des Nations Unies, plus de 250 sites culturels ont été endommagés ou détruits en Ukraine, dont le théâtre de Marioupol, bombardé alors qu’il servait d’abri identifié pour de nombreux civils.
« Beaucoup d’artistes sont désormais sur le front. Beaucoup de mes proches combattent », explique Anatoliy Zinovenko, dont le frère cadet sert sous l’uniforme ukrainien. « J’espère que nous jouerons la pièce pas seulement au Danemark, mais aussi bien sûr en Ukraine », conclut le metteur en scène.
James Brooks © Agence France-Presse
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