Aux Bouffes du nord, le sociétaire de la Comédie-Française embarque dans les zones obscures et brumeuses de la mémoire et de l’âme, il captive en suspendant le temps dans La Disparition du paysage, un monologue spécialement écrit pour lui par le romancier Jean-Philippe Toussaint et mis en scène avec autant de sobriété que de vertige par Aurélien Bory.
Sur le plateau plongé dans une obscurité silencieuse, assis sur un fauteuil dont les roues crissent sur le linoléum qui recouvre le sol, face à une large ouverture aux contours mouvants et incertains, un homme réduit à l’immobilité, d’abord dos à la salle, fixe et contemple la maigre parcelle de monde que lui offre la fenêtre de la chambre ou il est demeure convalescent. A portée de son regard, Ostende, la mer, le vent, le grand air, l’iode et les embruns, et puis plus rien du tout alors même qu’un chantier érige un haut mur de béton qui finit par totalement occulter son horizon. Qu’a provoqué l’état léthargique dans lequel l’homme se trouve sans souffrance physique mais inexorablement inactif, les membres et l’esprit paralysés ? Il ne le sait pas lui-même mais va le redécouvrir plus tard. Cela fait des semaines, des mois, des années qu’il cherche à se remémorer et ressasse les bribes de sa mémoire blessée, de sa vie hallucinée, sans réelle prise avec la réalité, qu’il s’échappe vers un imaginaire tantôt empreint de lumière, tantôt teinté de morbidité. L’indétermination règne sur ce que dit, voit, sait et vit le mystérieux locuteur. Elle redouble dans les beaux partis pris scéniques d’Aurélien Bory.
A la fois metteur en scène et scénographe, l’artiste aime placer et déplacer le regard dans des zones troubles qui invitent à errer dans l’indistinct et l’inconnu. Sa représentation minimale et très esthétique de La Disparition du paysage fait évidemment l’économie de presque toute figuration au profit d’une forme d’abstraction symbolique dans laquelle ne sont jamais éclipsées l’émotion et la sensation. L’espace est au cœur de la mise en scène, et plus précisément, l’encadrement d’une fenêtre suggérée par des jeux de rideaux et de lumières. Un ciel d’abord gris et étal puis teinté de subtiles variations de couleurs se laisse envahir par les bouffées épaisses du brouillard qui l’enveloppe et le dévore. Ce paysage immatériel est d’une grande beauté nébuleuse, sombre mais pas lugubre, bientôt traversé par l’homme qui passe et s’efface de l’autre côté.
Admirable dans la simplicité comme dans l’intensité de son jeu, Denis Podalydès qui ne tombe jamais dans la monotonie ou la morosité, dessine le corps comateux et adopte le ton lent, posé, ankylosé, du personnage. L’acteur épouse minutieusement le modelé et la musicalité de l’écriture sensible, précise et ciselée de Jean-Philippe Toussaint. Au bord du vide, tel un spectre flottant dans l’atmosphère blême et fuligineuse, il illumine l’exigeante et profonde évocation de la fragilité de l’existence humaine.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La disparition du paysage
Texte Jean-Philippe Toussaint
Scénographie et mise en scène Aurélien Bory
Lumières Arno Veyrat
Musique Joan Cambon
Co-scénogaphie Pierre Dequivre
Costumes Manuela Agnesini
Collaborateur artistique et technique Stéphane Chipeaux-Dardé
Avec Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie-FrançaiseProduction C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord
Coproduction Compagnie 111 – Aurélien Bory ; ThéâtredelaCité – centre dramatique national Toulouse Occitanie ; TNB – Théâtre National de Bretagne ; Théâtre National du Luxembourg ; Théâtre Princesse Grace Monaco ; Equinoxe – Scène Nationale de Châteauroux ; Les Hivernales du Festival d’Anjou ; La Coursive – Scène Nationale de La Rochelle
Ce spectacle a reçu une aide à la création de la Mairie de Toulouse.
Réalisation du décor dans les Ateliers de construction du ThéâtredelaCité.Durée du spectacle : 1h10
Théâtre des Bouffes du Nord
du mercredi 17 au samedi 27 novembre 2021
Du mardi au samedi à 20h30
Matinées les samedis à 15h30les 2 et 3 décembre à l’Équinoxe, Scène nationale de Chateauroux
le 1er février 2022 au MA, Scène nationale de Montbéliard
le 10 février à l’Agora, PNC Boulazac-Aquitaine
le 22 février au Rive Gauche, Scène conventionnée de St-Etienne-du-Rouvray
le 25 février au Grand Théâtre d’Angers, dans le cadre des Hivernales du festival d’Anjou
le 11 mars à l’Agora, PNC Boulazac-Aquitaine
du 15 au 18 mars au ThéâtredelaCité, CDN Toulouse Occitanie
du 23 au 25 mars à La Coursive, Scène nationale de La Rochelle
le 8 avril au Théâtre de Chelles
le 19 avril au Théâtre du Luxembourg, Meaux
les 11 et 12 mai à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy
Et Paca, Marseille ou Aix ??